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Un diner instructif

Un dîner instructif

 

 
Ce ne sont encore que des ébauches qui prennent sens et forme peu à peu....
 

La mère s'affairait à rouler et à enfourner un énorme gâteau pour le réchauffer et rendre la pâte croustillante.  C'était le jour des rois et avec les enfants on allait festoyer dans la gaieté générale. Lorsque la pâte fut dorée à point, elle sourit à son mari, à ses filles  et à son père et leur tendit un plat d'où s'exhalait une délicieuse odeur. Autour de la table, quelques assiettes de belle porcelaine de Limoges se virent chargées, chacune,  d'une grosse part. Les meubles pour cette fête étaient plus brillants que jamais, même dans leur coin, les vieux meubles venant d'un héritage ou de chez un antiquaire. Émilie se trouvait pour l'instant près du chien, frileusement blotti dans son nid et qui s'abandonnait, quelques instants, au plaisir absolu, tandis que les doigts de la jeune fille  le caressaient. mais ses narines étaient en alerte.
Dehors, une pluie récente avait laissé des petites flaques ça et là.  Émilie qui observait ses frères se sentit heureuse.
Les petits garçons une fois rentrés, regardèrent avec satisfaction et d'un air futé, autour de la table, espérant deviner où se trouverait la fève ou plutôt le petit sujet caché. 
La porte s'ouvrit de nouveau. Une grande jeune fille et deux garçons dégingandés, en pleine croissance entrèrent dans la salle à manger. Alors que les écoliers saluaient leur grand-père et les parents, Émilie remarqua qu'ils étaient plus maigres et pâles que le jour de leur départ pour le Lycée. Les gars baissaient les yeux en parlant, et elle eut l'impression désagréable qu'ils se sentaient mal à l'aise. Dommage car l'arrivée des grands était d'habitude signe de joie, de bêtises à inventer. Combien de fois avaient-ils tous grimpé aux arbres pour observer la nature et surtout les oiseaux !
Les parents se sentirent vite inquiets.

- Comment se fait-il que vous soyez déjà là, mes garçons, je n'attendais que votre sœur qui doit préparer son mariage ? dit le père, ce n'est pas le moment des vacances.
- Le directeur de l'école privée, nous a mis à la porte ainsi que plusieurs autres copains...
Il y eut un silence contraint.
Bon Dieu, s'écria le grand père, quelle sottise avez-vous faite ?
- Eh bien, nous avons répété ce que tu dis toujours, toi grand père : quelque chose comme " Imaginez qu'il n'y ait pas de nation, personne à tuer, nulle cause pour mourir, pas de possessions en dehors du nécessaire et du petit plaisir quotidien, pas de religion surtout ! "
- Cela a fait bondir nos maîtres, les fervents chrétiens et même plusieurs musulmans; moi, j'ai ajouté : " Imaginez que chacun puisse vivre sa vie en paix,  la fraternité sans avidité... tout le monde partageant le monde dans une ambiance de paix et d'amour !  Et tout cela ne peut se réaliser que sans religion ! "
- Et pourtant c'est bien vous qui avez raison, s'écria le grand père en colère. Ils n'ont pas le droit de vous mettre à la porte pour des affirmations d'idées qui restent honnêtes.
- Oui mais impossibles à avouer dans une école privée religieuse, grogna le père.

- Ils n'ont pas osé nous mettre à la porte pour cela. Ils ont prétendu ne pas avoir reçu notre pension à temps.. Ils nous ont fait comprendre que d'autres élèves dont les parents étaient hauts placés, bien pensants et plus riches nous remplaceraient vite.
Arnaud le père se mit à marcher de long en large, ce qui était chez lui signe de grande agitation.

- Mais nous avons payé !
Furieux il s'adressa à son beau-père :
- Aussi vous êtes toujours à leur souffler d'étranges idées. Maintenant les enfants sont à la rue et en plus, nous allons passer pour des mauvais payeurs.

Le vieillard leva la main nerveusement. Une expression de douleur passa sur son visage ridé qu'encadrait la courte barbe blanche :
-.
Ce n'est pas un drame dit-il, s'ils se passent de latin, de grec et de messe ! De mon temps, à leur âge, j'étais au boulot !
- Il ne s'agit pas que de latin et de grec. C'est tout leur avenir qui dépend aujourd'hui du lycée. Vous le savez bien. Nous ne sommes plus au 20 e siècle. C'est plus difficile de trouver un emploi après ces crises...
Julien et Sébastien paraissaient atterrés par cette dispute dont ils étaient la cause et ils n'étaient pas très fiers. Pourtant ils avaient agi volontairement pour un projet qui leur tenait à cœur. Ils avaient 16 et 17 ans. Il était temps après tout qu'ils choisissent leur destinée, ils n'avaient pas la même confiance que leurs parents dans les diplômes.

- Bon, on verra plus tard émit le père avec hésitation.

Quelques jours plus tard,  le grand père, simplement  content de voir que les maigres et pâles lycéens retrouvaient dans sa campagne natale des couleurs et des idées plus saines, recommença à distribuer des friandises et des idées élaborées au cours de sa longue vie, persuadé que ses petits fils le suivraient dans ses raisonnements.

L'homme se disait que l'humanité du XXI e siècle allait à sa perte puisqu'elle détruisait tout, et par conséquent, elle se détruisait elle-même. Si le capitalisme ajoute, à celle de la pollution, sa domination, les humains auront non seulement détruit la terre en son entier, mais encore ils auront creusé le fossé entre les riches et les pauvres, créé un nouvel esclavage, celui destiné aux modestes, détruit une démocratie remplacée par le pouvoir de l'argent. Ses petits enfants n'auront plus de lait frais, plus de légumes verts... Ils ne mangeront le plus souvent qu'une alimentation conçue industriellement et mal équilibrée et tandis que certains s'en mettraient plein les poches, eux deviendraient des oubliés du rendement à tout prix..

Dans la cuisine, la mère enfournait éternellement ses rôtis, ses gâteaux, cette fois c'était une tarte aux fraises. Bon, on avait encore les moyens de manger convenablement... Elle avait aussi, sans beaucoup sortir cependant, une sorte de génie. Elle était toujours au courant de ce qui se passait dans les environs. C'était aussi une conteuse née qui savait donner couleur et piquant au récit du plus banal événement.
- Mangerons-nous bientôt demanda Émilie, gourmande, en  levant vers elle ses yeux verts ?
- Pas encore ma mignonne. Si tu as faim, je vais te faire une tartine.
L'odeur du pain chaud avait enchanté son enfance car la mère aimait faire son pain elle-même. Émilie accepta avec enthousiasme le chocolat sur du pain encore tiède.
Elle rejoignit ensuite son père à l'écurie. Tous adoraient les chevaux et d'ailleurs tous les animaux. Les parents possédaient un haras et un club pour les passionnés d'équitation. Ils élevaient des chevaux reproducteurs, participaient aux salons, présentaient leurs poulinières et en même temps permettaient aux jeunes d'apprendre à monter ou de faire des promenades.
Il fit signe à un palefrenier de seller son cheval.
- Je peux t'accompagner ? demanda Émilie avec son air le plus gracieux.  Elle savait qu'il préparait une rencontre de vendeurs spécialisés dans les chevaux de sport qui devaient révéler leurs performances. Son père la regarda en souriant, il ne put résister et la prit en travers de sa selle. C'était sa préférée. Il la trouvait fort jolie
et même intelligente. C'était de sa mère qu'elle tenait ses grands yeux d'un vert sombre si profonds et si expressifs.
Sa principale qualité était son naturel franc et ouvert. Petite déjà, elle rêvait d'être un garçon afin de pouvoir pratiquer  les exercices du corps et même les exercices de self défense ou les sciences des armes et surtout, elle souhaitait vivre à sa guise dans le vaste monde car il lui semblait que bien qu'elle vécût au XXI e siècle, l'égalité, ou plutôt l'équité, n'était pas encore acquise.. Un esprit d'amazone habitait cette belle créature. Son père amusé et malgré ses moyens limités lui avait fait donner des leçons de gymnastique, d'équitation, d'escrime et de tir à l'arc. Il comptait sur elle pour faire des démonstrations en montant sa jument.
- Qu'as-tu décidé pour les garçons ?
- Petite curieuse, ce sont des affaires qui ne te concernent pas.
- Tu parles comme les professeurs !
- Ah bon !
- Oui,  il y a toujours pour eux des domaines qui ne me concernent pas, que j'apprendrai plus tard. Par exemple nous allons parfois à la bibliothèque et c'est pour moi un lieu prestigieux. Mais il  y a des secteurs réservés aux grands et la bibliothécaire dit que ce serait dangereux pour moi de lire ces livres.
- Une bibliothèque est en effet un lieu de connaissances, la connaissance est un trésor, un grain de connaissance mène à un autre, je suis d'accord. Mais il faut un esprit clair, bien préparé pour y accéder
car la connaissance peut aussi être un danger. Elle a d'ailleurs  été longtemps un danger dans l'histoire. Parce que connaître c'est pouvoir et ceux qui détiennent le pouvoir essaient de limiter la connaissance des autres par la censure.
Cette question cependant touchait de près les propres préoccupations du père. Mais il y en avait de bien plus urgentes. Il avait toujours pris soin d'installer confortablement sa nombreuse famille et de veiller sur elle.
- Pour le moment, nous allons plutôt songer au mariage de ta sœur aînée, au problème d'un lycée qui accepterait tes révoltés de frères ou d'un travail qui leur conviendrait...
Lorsqu'ils furent arrivés au haras le plus proche du leur, ils descendirent et furent accueillis par un très élégant jeune homme dont le regard noisette rencontra celui d'Émilie. Elle le connaissait, mais elle ne trouva pas trace de l'ironie qui en était l'expression habituelle. Par contre elle vit dans ses yeux une expression à la fois avide et admirative. Mais ce ne fut qu'un instant.
Elle avait toujours été assez frêle, mais elle semblait soudain plus âgée avec sa jeune poitrine qui gonflait légèrement le tissu. Ce regard lui disait qu'elle n'était déjà plus une enfant et pourtant, elle n'avait que 14 ans! Il était temps pour elle d'apprendre à vivre sa vie. Mais comment ?

Le jour du mariage approchait. La petite église romane fut garnie de fleurs et de cierges. L'église, on laissait cela aux femmes, aux enfants mais tout de même, on y faisait acte de présence aux grandes occasions, cela n'avait guère changé depuis le siècle dernier. Pourtant certains osaient affirmer leur athéisme ou leur laïcité. On ne croyait plus vraiment, mais c'était une coutume. Hors de l'église, l'atmosphère, comme le décor aussi changeaient. La musique se faisait entendre sur la place où devait avoir lieu plus tard l'apéritif. Des personnes commençaient à chanter.
Emma, la sœur aînée, la mariée, s’avançait le long d’un tapis rouge dans le froissement soyeux de son ample robe de taffetas blanc ornée de dentelles dont la partie cintrée mettait en évidence la minceur de sa taille. Elle avait une démarche spéciale comme si le simple fait de marcher sur le tapis rouge était un défi lancé à l'entourage. Face à ses amis et à ses voisins, Émilie en était déjà consciente, ses frères et sœurs menaient une vie discrète. La maladie du siècle était de dominer et Emma profitait de cette journée, sa journée de mise en valeur.
Émilie songeait à ce désir de beaucoup de dominer, de dominer toujours et les gens modestes suivaient, imitaient. Qu'on domine ou qu'on suive pose problème se disait Émilie ? Pourquoi ne pas être neutre et ne chercher ni à dominer ni à se calquer sur quelqu'un ? On entend souvent la phrase : " Il faut que tu t'affirmes ". Où est l'intérêt ? Si chacun s'affirme, c'est la guerre? Aller voir un film choisi par un autre, quelle importance, si le plaisir d'être deux compte plus ? Pourquoi toujours décider ? Pourquoi toujours obéir, suivre... Manger tel ou tel plat ? Quelle importance ? Il faut savoir manger divers mets alors pourquoi ne pas agir de même pour les attitudes? Du haut de ses 14 ans, ces avis contradictoires lui donnaient le vertige. En quoi est-ce indispensable d'avoir un avis sur tout, de créer des malentendus, de blesser des gens ? Parfois on peut tout simplement rester discret, ce qui n'empêche pas de penser par soi-même sans étaler ses opinions...

Des garçons en veste blanche, debout derrière des tables de verre, semblaient monter la garde auprès de montagnes de gâteaux, de chocolats et de tartines follement appétissants. Émilie en salivait d'envie.
Elle alla consoler son jeune frère tout en se dépêchant de grignoter avec lui quelques friandises.

Un adolescent aperçut les enfants, il enleva Émilie dans ses bras et l'entraîna après l'avoir embrassée cordialement.
-  Tu ressembles à ma cousine lui dit-il
Émilie ne connaissait pas encore la honte ou la confusion. Elle oublia ses pensées sombres et l'embrassa à son tour.
Après une première dans, un autre bel adolescent s'avança. Émilie le suivit encore dans ses pas de danse tant bien que mal, mais heureuse et épanouie. Après quelques minutes elle arrivait à suivre la cadence et trouvait cela follement amusant bien qu'elle fût bousculée de tous côtés. Les musiciens de l'orchestre s'époumonaient, se démenaient en soufflant ou en tapant dans et sur leurs instruments, cherchant désespérément à se faire entendre au milieu du brouhaha.

Le père la vit dans une apparition pleine de fougue et de fraîcheur, tourner,  essayer de suivre la cadence, sautant d'un pied sur l'autre et battant des mains selon le rythme. Leurs cheveux d'or bruni sautaient sur ses épaules. Un sang revigoré, sous le hâle doré des joues campagnardes, lui donnait un éclat vermeil. Ses jeunes cavaliers la délaissaient ou au contraire se succédaient  et dans leurs yeux brillants et rieurs, elle lisait aussi  quelque chose de nouveau qui l'exaltait un peu.
Une odeur de crêpes chaudes  l'arrêtait parfois. Elle ralentissait alors pour en engloutir une. Celle-ci laissait à ses lèvres un délicieux parfum de beurre et de sucre...
Ils organisèrent une farandole. Se tenant par la main, les filles et les gars passèrent près des parents. Ils furent entraînées dans un flot joyeux.
- Votre seconde demoiselle devient fort belle.
- C'est vrai que je la trouve magnifique.

Pourtant un malaise naissait et s'accentuait. Les filles étaient belles, certes, mais la robe d'Émilie était bien un peu délavée pour une grande fête. Avec son épouse, ils gagnaient bien leur vie, mais la crise était là et leurs nombreux enfants coûtaient cher. Les deux plus grands garçons garçons, toujours en révoltés, conscients de l'effet produit par leur tenue débraillée accentuaient leur aspect négligé par une attitude tout aussi négligée. Ils allaient, au moindre regard étonné, jusqu'à  à se gratter la tête de façon éhontée. Leur manège bouleversait Émilie qui sortait en quelque sorte pour la première fois. Le père regarda de nouveau Émilie, elle restait sur sa réserve habituelle mais semblait dans la danse, oublier le monde entier.
Le soir vint. Le bal s'épuisait. Tournant aussi et sans cesse il y avait quantité de manèges et même de chevaux de bois, accrochés à des hampes, comme sa sœur l'avait désiré. Aussi avait-il fallu faire correspondre le mariage avec une fête. Les chevaux montaient descendaient. Les enfants qui étaient dessus riaient et adressaient des signes à leurs parents. La musique du bal s'étant estompée une autre musique très forte et joyeuse prenait le dessus. Les visages étaient rouges et les personnes essoufflées. La fraîcheur soulagea les fronts en sueur. Il fallut s'arrêter un peu, aller aux tables garnies manger et se désaltérer. L'alcool s'ajoutant à la fatigue de la danse en fit bâiller plus d'un.

Le soleil se couchait sur la place du village, dévastée. La fête de l'après-midi était bien finie. Le bal était terminé. Les derniers invités de l'apéritif partaient, les gens du service allumaient avec la tombée de la nuit, lampes et chandelles décoratives...Il restait le repas, ce qu'Émilie trouvait de plus ennuyeux. On se retrouverait une trentaine au moins, dont de nombreux inconnus, devant de grandes tables.
On s'approcha de la table. Personne n'avait faim ! La table, d'ailleurs était exceptionnellement éblouissante avec des cristaux étincelants, du linge très blanc et beaucoup de fleurs. Tout était fait pour enchanter le regard.  La jeune mariée portait encore sa robe blanche.

A cause de leurs frères, les filles et les petits furent au supplice durant tout le dîner. Au cours du festin des gens, des commères renouvelaient leurs regards acérés. Un homme aussi, jetait vers les enfants des regards horrifiés et semblait regarder les tenues modestes avec mépris..
 A chaque manquement, un bel adolescent, guindé, qu'Émilie avait admiré, soulignait les écarts volontaires, à ses proches qui ne manquaient pas d'afficher un coup d'œil ou un sourire moqueur. Que leur réservait la soirée ? Pour le moment les garçons de service, continuaient à porter les plats, l'attitude immuable, la serviette sur l'épaule.

A cause de son jeune âge, et de sa taille déjà presque adulte pourtant, Émilie se retrouvait à côté de personnes qu'elle jugeait au premier abord pompeuses, raisonneuses et à entendre leurs premières paroles semblant sortir d'un monde qu'elle ignorait encore. L'assemblée de plus lui semblait disparate. Les uns habillés simplement paraissaient gênés, d'autres avaient volontairement mis des tenues modernes voire volontairement négligées. Les amis d'Emma et de son mari venant de tous bords semblaient prêt à l'assaut d'un village fortifié et guindé. Comment avait-on eu l'idée de rassembler à ce repas des gens au caractère aussi  diamétralement opposé ?
Émilie ne regrettait qu'une chose, on ne l'avait pas placée avec ses jeunes frères, mais à côté du jeune palefrenier, au regard avide, qu'elle avait déjà rencontré peu de temps auparavant avec son père. Une enfant a besoin d'autres enfants pour faire les fous, se bagarrer, se réconcilier. Elle était loin de se sentir adulte. Elle sentait, elle imaginait les conversations qui allaient naître : la santé serait le premier sujet de conversation des gens âgés, le sport, celui des hommes, la question immobilière ou la crise celle de l'ensemble des invités...Elle haussa les épaules déjà désolée.
En maîtresse de maison accomplie, Marie, leur mère, s'occupait de tous, posant avec grâce des questions destinées à mettre en valeur l'interlocuteur. Elle en interrogeait d'autres sur leur famille, leurs passions habituelles. On se mit peu à peu à parler d'abondance. Au premier abord dans le groupe des femmes, il semblait qu'on allait ne parler que des enfants, de leur intelligence. On faisait des comparaisons, on racontait des anecdotes illustrant la précocité exceptionnelle de petits monstres. Ce même petit monstre, non loin était en train de se servir une part trop copieuse pour qu'il puisse la manger. Émilie regarda l'enfant puis la mère dont elle ne vit que le profil a
bsorbé par son assiette. Mais elle se rendit vite compte qu'ailleurs les conversations étaient variées.  Elle en avait marre car elle devait se contenter  du profil de son voisin très amoureux de sa fourchette. Les grandes discussions étaient lancées. Évitant son voisin trop encombrant, Émilie se leva pour aider sa mère et participer à l'ambiance générale. Cette ambiance d'ailleurs semblait des plus tendues. Les deux familles ne se connaissaient pas. Le mari d'Emma, un écologiste aux idées très ouvertes, avait invité des artistes, des musiciens, des jeunes de tous horizons. Son grand-père et ses frères, les yeux vifs semblaient prêts à l'assaut des montagnes de préjugés !

A l'opposé, aveuglée par son absolue foi, sa tante qui ne voyait dans tout que la manifestation d'une volonté supérieure et divine et dans la jeunesse qu'un ramassis de voyous avait un air plutôt pincé et réservé qui ne durerait pas quand elle remarquerait le coin des musulmans au crane rasé ou des jeunes cachés derrière leur longue mèche sur les yeux..
Chrétienne dans l'âme, elle considérait les musulmans avec une invincible méfiance et les fanatiques avec une sorte de terreur superstitieuse.  Remplie d'horreur pour les attentats, elle les en tenait tous pour responsables. Entre elle et le père de Driss, un religieux, les joutes oratoires risquaient d'être ardentes, interminables, chacun des adversaires cherchant à convaincre l'autre, sans pour cela conserver le moindre espoir d'y parvenir. La tante fulminait déjà contre les fureurs fanatiques, c'était évident, sans réaliser qu'elle atteignait par sa croyance absolue et son acharnement au même fanatisme.
En général son combat se terminait par épuisement. Qu'en serait-il ce soir ?

Émilie se chargea des boissons, elle pourrait tout en grignotant, croiser les différentes joutes oratoires, et profiter à la fois des discussions qui seraient riches et de la paix revenue entre les  lutteurs qui s'affronteraient plus pacifiquement, l'estime mutuelle renforcée. Elle pourrait alors avec un sourire timide, discret, verser ses boissons.

Sa tante était lancée :
- Par quelle aberration, des hommes et des femmes qui se voulaient adeptes d'un Dieu de douceur, d'amour, de miséricorde en étaient-ils arrivés au cours des siècles à faire la guerre, à flageller ou pire à se dévoyer au contraire. Quelles blessures humaines pouvaient recourir à la douleur  ou à la honte pour en effacer le souvenir ?
 Pour elle la justice de Dieu ne regardait que Dieu et ne réclamait ni punition, ni avilissement en ce monde.

- La crainte que nous gardons des leçons religieuses, la croyance dans des forces supra-terrestres...
- Nous avons tous besoin de croire en quelque chose. En Dieu pour certains. Ce peut être dans nos rêves, dans l'affection....
- Pourquoi devrait-on croire quoi que ce soit ? Croire personne ne le doit à personne pas même à un Dieu. Ce serait une sorte de formule magique qui dispenserait de toute explication ?

- La croyance mène aux préjugés ! La vérité elle-même n'existe pas si ce n'est dans l'instant. Elle aussi est soumise aux préjugés. Pourquoi les ifs offrent-ils un aspect lugubre ? Sans doute parce qu'ils remplissent certains cimetières. Pourquoi les corbeaux et les corneilles font-ils peur alors que ce sont les plus intelligents des oiseaux ? Parce qu'ils sont noirs et que le noir dans notre civilisation est associée à la mort, à la peur. Chez les Inuits, c'est pratiquement un oiseau sacré. Les Vietnamiens ont une logique qui n'est point la nôtre, ils ne connaissent pas la raison du profit et de l'efficacité immédiate. la vérité est incommunicabilité.
- Bof ! dit le vieil homme qui la regardait étonné par cet assaut. Je n'ai jamais été très pieux. Les obligations religieuses restent l'apanage des femmes délirantes, la prière leur affaire ! Il trouvait agaçant tout ce qu'il considérait comme des commérages teintés de superstition.
Je ne voudrais offenser personne ajouta-t-il, soudain gêné par tous les regards tournés vers lui...
- En disant que vous n'êtes pas croyant dit une dame élégante.
- Oui
- Je ne le suis pas non plus. Et le pire est que l'homme tombe sous la magie d'une telle parole et pense être obligé de " croire "D'ailleurs, il est facile  pour les religions de garantir la félicité éternelle après la mort,  étant donné que personne n'était jamais revenu pour témoigner. Les règles de vie sont d'ailleurs édictées par des hommes de pouvoir. La seule religion intéressante selon moi est la philosophie bouddhiste.
- Alors, pouvez-vous m'expliquer la différence, selon vous,  entre le bouddhisme zen et les religions occidentales.
- Les religions occidentales comptent sur une rédemption extérieure, les religions asiatiques prônent  l'auto-rédemption..
Il eut du mal à cacher sa surprise.
- Voilà qui ne risque pas de m'offenser personnellement. Je suis d'accord. J'estime que c'est un point de vue parfaitement raisonnable.

Mais les rides de la dame se plissèrent en un doux sourire qui contrastait avec les lèvres pincées de  sa sœur.
- J'ai choisi de croire en Dieu, alors que je n'avais aucune preuve de son existence, plutôt des preuves du contraire ajouta-t-elle. Je trouve que ça rend la vie plus acceptable. Mais c'est un simple choix de ma part comme le conseillait Pascal.

- Je ne suis pas certain de voir cela comme un choix ! Est-ce que ce choix implique de croire en l'église ?
- Dieu du ciel, non, il faudrait être fou pour lui faire confiance .
- Peut-être vaut-il mieux ne pas colporter des croyances puisqu'elles ne sont pas vérifiables, pas démontrables. Ce sont des bruits sans raison.
On accorde à ces croyances l'ensemble des événements que nous ne comprenons pas.
La tante revenait à l'assaut. Son absolue conviction était que l'homme ne pouvait se diriger seul, que le mal triompherait en lui si on ne le contraignait pas au bien, parce que le mal était plus aisé à commettre et surtout plus distrayant que la soumission à la sagesse.
 -Tu dis n'importe quoi, nos parents nous ont pourtant élevés en bon chrétiens dit-elle à son frère et cela nous a rendus non seulement honnêtes, mais favorables à la paix.
- Vous êtes chrétienne, je suis musulman cela ne m'empêche pas d'avoir été également bien éduqué ajouta Driss.
- Et pourquoi musulman dit-elle un peu sottement ?
- C'est la religion de mes ancêtres. La religion de nos pères est la bonne puisqu'elle nous a permis de traverser les âges.
- Est-ce suffisant pour croire ajouta le grand-père bougon ? Pour lui dans les religions, tout n'était que cinéma. Il se demandait par exemple quand on avait cessé de porter du noir pour les enterrements. Et à cette idée, il haussa les épaules. Dans l'enfance on vous berçait de mythes : le petit Jésus dans sa crèche, la résurrection de la chair, un monde meilleur réservé aux personnes bonnes et pieuses. Que de gestes symboliques et mythiques perdaient tout sens à ses yeux.

- La croyance reste quelque chose de personnel. La force des religions naît de la foi qui est en chacun.
- La croyance en un domaine du mal et du bien ont bon dos. Le mal est le bouc émissaire qui sert à nous décharger de nos fautes et de nos erreurs.
- La nôtre de religion aussi nous vient de nos pères et nous a permis de traverser les âges...
- Vous me faites penser à une réflexion de Voltaire qui disait que dans les guerres chaque clan prenait Dieu à témoin et était persuadé d'être soutenu par lui. Il y a eu des réactions semblables au moment des guerres de religion et de la St Barthélemy.  Chaque clan se disait autorisé à tuer au nom de Dieu. Chaque clan faisait de Dieu son complice.
- Difficile de nous entendre alors. En France, il n'y a plus qu'à recréer les ghettos comme dans certains pays.

- Les cités s'en sont chargé madame...
- Il n'y a jamais eu de ghettos dans l'empire ottoman répondit doctement un musulman. Vous, vous avez eu l'inquisition, chez nous, nous ignorons les préjugés.
- Permettriez-vous à des femmes d'étudier comme les hommes ?
- Pour nous ce serait une hérésie. Cela défierait la dignité des hommes et la chasteté des femmes Rien que toucher à longueur de journée ce que touche une femme peut nous souiller.
Il ne faisait pas secret de son dégoût.
- Vous êtes intégriste. On commence par souhaiter un monde meilleur ( les fanatiques, y compris les écologistes ) prétendent améliorer les choses pour en fin de compte détruire tout ce qu'ils désapprouvent..
- Nous ne sommes pas des intégristes. Non, tous sont bien accueillis chez nous, en Algérie, au Maroc : noirs ou jaunes, arabes ou juifs se mêlent sans problème.
- Selon mon expérience, l'intégrisme fait plus que couver...
- On les entend moins.
- C'est pire, s'ils  cessent de parler, c'est qu'ils commencent à agir.
- Tous ces religieux qu'ils soient chrétiens ou musulmans croient montrer le chemin de la sainteté, s’imaginent qu’en prêchant ils ont la solution à tous les maux de la terre. S'ils ne pouvaient se servir de leurs déguisements comme moyen de faire croire aux gens qu'ils ne sont pas comme eux, qu'ils leur sont supérieurs, la plupart d'entre eux s'en désintéresseraient complètement. Je crois qu'il vaut mieux éviter le clergé, les religieux quels qu'ils soient en tant que groupe !

- L'intégrisme n'est pas seulement religieux. Je me méfie de tous les extrémistes. Il y en a même parmi les verts ! Et les amis des animaux...

Pourtant dans l'ensemble, les verts avaient souvent raison. seulement ils souhaitaient corriger le monde un peu trop vite, un peu trop maladroitement par rapport aux idées de profit trop ancrées dans les esprits. On ne peut plus rejeter les commodités et la technologie modernes. Il se souvenait d'une époque où l'eau des rivières était claire, la mer lorsqu'elle se retirait ne laissait sur le sable que des algues parfumées et de très beaux coquillages. Désormais, la campagne, les villes, les plages étaient jonchés d'ordures, de boîtes vides et de bouteilles... Mais s'il lui arrivait d'avoir besoin d'aide médicale, aucun écologiste ne refuserait d'utiliser le téléphone ou la voiture ... Notre ministre représentant assidu dans ce domaine soutenait les verts en faisant des films de par le monde. Il utilisait l'avion même pour nous montrer la terre et ses souffrances !

Il s'en suivit un long silence avant que quelqu'un n'entame la conclusion en revenant vers la religion.
- Les religions officielles ont au moins une réputation à préserver. Ils se surveillent les uns les autres.
- Ne me parlez plus jamais de Dieu. S'il existe il ne cesse de frapper ceux même qui n'ont jamais commis le mal. Alors il n'est ni bon, ni miséricordieux.
- N'a-t-il pas lui-même accepté la souffrance ?
- La souffrance d'un Dieu si elle existe peut-elle être la même que celle d'un homme ?
- Pour en revenir aux verts, c'est vrai qu'il y a des fanatiques. De même que dans les S.P.A. J'ai connu des cas précis où ce fanatisme frôlait l'idiotie. Par exemple protester contre le dessin d'un parking qui était dû à son propriétaire. Celui-ci payait depuis des années l'ouverture de la porte et l'emplacement lorsqu'on lui avait appris que celui-ci n'existait matériellement pas. Une femme entre autres s'y opposait parce qu'il fallait couper un arbre.
- J'ai moi aussi connu des cas semblables: des manifestations de femmes affublées de macarons écolos qui protestaient au bord d'un marécage réservé aux oiseaux parce que la police enquêtait sur les lieux protégés à la suite d'un meurtre.

- Et que dire de la S.P.A qui refuse un chien, d'un air plein de pouvoir, à une famille parce que celle-ci n'a pas pu garder un husky ingérable qui avait fait tomber sa patronne. Les êtres humains en danger passent-ils après les animaux maintenant ?

Émilie s'éloignait saisissait une autre conversation qui semblait concerner la politique. Elle n'avait jamais appris autant, en si peu de temps, même à l'école.


- Apprenez qu'en politique comme en diplomatie, le mensonge et la vérité sont des notions tout à fait abstraites. Les compliments cachent souvent des intentions perfides... Il n'y a que le résultat qui compte ! La ruche est plus importante que l'abeille... !
- Dès l'instant où quelqu'un dit qu'il a envie de se présenter aux élections, tout ce qu'il peut dire ou faire me paraît suspect ! Il n'y a rien qui enivre plus un politicien que les acclamations du peuple !
- Je ne suis encore jamais allé aussi loin sur la voie du cynisme !
-
Faire de la politique !? C'est se repaître de grands mots, de belles phrases, c'est manipuler les esprits, mais derrière tout cela, il y en a qui pensent faire fortune, travaillent pour leurs intérêts pendant que des personnes modestes, parfois d'une valeur exceptionnelle sont pratiquement dans la misère. Nous sommes abreuvés toute la journée par le chapelet de mensonges qu'égrainent nos hommes politiques à la télévision et partout. Les exemples ne sont pas nombreux, ils sont permanents. Le mensonge politique ou non d'ailleurs est devenu une rhétorique, un sport. Sommes-nous encore capables de lui résister,  d'en mesurer les effets pervers.
- Je trouve bizarre que des gens puissent être sanctifiés pour ce qu'ils ont dit, alors que ce que l'on fait est tellement plus important.
- Au cours des campagnes électorales, la fièvre monte puis les vainqueurs savourent leur gloire et les vaincus portent de nouveaux coups bas... Mais qui pense vraiment au pays !
- Les gens ne peuvent pas rejeter toute responsabilité dans ce domaine ! Nous ne pouvons pas dire que ce qui se passe dans le pays ne nous regarde pas.
De quoi devrais-je me sentir responsable ?  Je n'ai pas contribué à déprécier la monnaie, abîmer la campagne...
- Je pensais à des aspects encore plus importants, la montée du fascisme, la violence, le reigne de l'égoïsme.

- Vous oubliez les journalistes. Ils utilisent les mots.
- C'est vrai, la presse à sensation. le moindre dicours est analysé et  formulé comme une accusation.
- Même la démocratie a des limites. Le temps des décisions y est trop long et celles-ci sont trop difficiles à prendre. Les contestations pullulent...Et puis, même dans une démocratie il y a des passe-droits.

- Ah! Où sont les neiges d'antan ? Où sont les idéaux de 68 ?
Tout de suite sur ses gardes, elle répliqua par un :
- Qu'est-ce que cela signifie ?

- Cela signifie que beaucoup d'entre nous avions foi dans la politique de gauche, dans la justice sociale et dans l'idée de l'égalité...
- Et puis ?
- Les principes sont ébranlés. Nous avons sans doute été encore une fois les dindons d'une farce qui a duré des années avec notre espoir d'une société meilleure.

- Sans parler seulement des politiciens, il faut savoir que chacun de nous n'est qu'un être humain avec ses défauts.
- Vous allez en venir à parler de la condition humaine maintenant ! Oubliez-vous que parler en donnant un sens profond à ses mots est difficile ?
- Oui, tout cela est pénible dit le beau-père en plongeant ses mains dans le plat à crevettes pour en attraper une bonne poignée. Mais du moment qu'on a une démocratie, on doit écouter le peuple.
- On sait bien que la plupart des immigrés viennent ici juste pour toucher les allocations, glissa sa belle-mère. S'il n'y avait que ceux qui sont prêts à travailler et à contribuer à la société, ça pourrait aller. mais moi je n'ai aucune envie de voir l'argent de mes impôts aller dans la pochez de ces parasites.
- Le pire est de voir que maintenant les natifs et les immigrés se mélangent. Quand le papa est arabe, vous imaginez la vie de famille ? Rien qu'à voir comment ils traitent leurs épouses... Et les enfants, on va se moquer d'eux à l'école. Cela va faire des délinquants !
- Crétins sortit un extrémiste notoire. Vous ne savez pas de quoi vous parlez. Comme la majorité vous schématisez le problème. Vous n'avez aucune vue d'ensemble.
- Que voulez-vous faire ? Les expulser maintenant ? Pour les nôtres dans la plupart des cas, tout le monde a droit à une seconde chance. Pourquoi pas pour les immigrés ? On parle de les expulser à leur première condamnation.
- Oui, les indigènes sont relégués dans la catégorie de seconde zone tandis que des individus venus d'ailleurs, que nous avons si naïvement accueillis, sont soignés aux petits oignons !..

- Pourquoi cette querelle, c'est important la condition humaine, non ? Moi, je suis ami de la liberté et de la fraternité.

- J'aimerais avoir ta foi en l'humanité. mais ouvre les yeux, la vermine prolifère partout? Il existe tant de manières de vivre, mais aucune ne saurait remplacer la liberté. La liberté, ce n’est pas celle au nom de laquelle beaucoup de jeunes se révoltent car je suis aussi ennemi du désordre.
- Croiriez-vous en l'égalité ?
- Non elle est impossible. L'égalité disparaît vite. Si on distribue tout l'avoir d'une communauté équitablement, que se passera-t-il un an après ? Certains auront augmenté leur part en économisant et en travaillant, alors que d'autres l'auront dépensée sans réflexion... Mais je crois en l'équité.
- J'admire ceux qui parlent de fraternité, mais je ne suis pas vraiment d'accord avec eux. Ce que je connais de la plupart des hommes, m'incite peu à voir en tous des frères !
- Vous allez en révolter plus d'un ! Vos paroles sont trop spontanées et irréfléchies. Une parole non réfléchie ou imparfaite conduit aussi au désordre.

- En politique, on ne devrait parler que pour apporter des solutions...


 A chaque coin de la grande table, la conversation avait un thème différent


- L'ennui avec vous M, c'est que dans votre enfance, vous avez trop lu et surtout trop de romans qui brodent sur la réalité.
- Vous dites n'importe quoi, j'ai lu des œuvres sérieuses comme Othello ou le Maure de Venise de William Shakespeare par exemple.
- Mais ce sont des
œuvres très anciennes !
- Oh ! Il a choisi Othello exprès. Mais Othello, en admettant qu'il soit un personnage réel, était une espèce de génie de la guerre et les grands hommes peuvent se permettre bien des extravagances. Mais croyez-vous que si Napoléon était né avec la peau de bronze du bel Othello, il aurait pu monter sur le trône de France et devenir empereur? Qu'en pensez-vous ?
- La couleur de peau n'est plus aujourd'hui un critère pour être relégué à un rang médiocre !
- Il y a aussi les diplômes.
- L'important c'est la valeur d'un homme, non ses titres.

- L'important c'est d'avoir une grande gueule et de duper !
- Un vent de haine a toujours soufflé entre les humains à cause des ethnies et des habitudes qu'elles inculquent, à cause des croyances difficiles à déraciner malgré même les progrès de la science...

- Les haines dit un autre prennent naissance dans la fatuité méprisante des esprits sans nuance, limités à des certitudes sommaires et définitives.
- Parce que vous vous sentez prêt à admettre sans fatuité que votre jugement n'est ni sommaire ni définitif ?
- La vérité est que tous les hommes sont haineux, leur comportement dépend juste de ce qu'ils ont vécu.

- Je suis tolérant dans une certaine mesure.
- Il n'y a pas de mesure à la tolérance.

- Pourtant en général je m'arrête à ce qui est tolérable pour moi. Supporter au-delà ne peut se faire que pour les personnes sympathiques. Il n'y a pas tellement de gens sympathiques.
- N'exagérez pas... L'orgueil des occidentaux dit un musulman posément leur a toujours fait croire qu'ils devaient apporter aux autres leur culture qu'ils jugeaient supérieure ou bienfaitrice. Or, les gens qu'ils traitaient de sauvages connaissaient  admirablement les plantes salvatrices et les racines comestibles. Ce sont des connaissances qui disparaissent au fur et à mesure que la chimie entre en jeu pour nous empoisonner.

- Pourtant les coutumes de certains pays ont été barbares.
- Chez nous aussi en d'autres temps ajouta avec justesse le voisin de table.

- La haine, la vengeance... si on se focalise trop dessus, on finit par perdre l'équilibre et par sortir de ce qui est juste.
-  J'avoue que si je ne déteste pas particulièrement certains étrangers, je ne les aime pas non plus. J'ai par exemple le droit de dire que je n'aime pas le vin et je n'ai pas le droit de dire que je n'aime pas globalement certaines personnes parce que ce n'est pas politiquement correct. Pourtant j'admets que je ne devrais pas parler globalement et surtout je ne devrais pas englober les enfants dans mon jugement. Cependant ces mêmes enfants vont vite être formés par les parents... Disons donc que  je n'éprouve rien  de particulièrement positif, ni même négatif vis à vis d'eux. Mais je ne vois pas pourquoi je ne peux pas m'exprimer.
- Peut-être y a-t-il une manière de le dire...
sans cette expression rageuse...
- Par la vengeance?
- De quoi ? D'ailleurs, elle ne s'arrête pas à la mort. Chez les chevaliers, ne pas se venger, c'était se priver de sa gloire et attirer sur soi le mépris des autres et la honte des ancêtres.

- Et le pardon ? Que pensez-vous du pardon ?
- C'est dans le même ordre d'idées.

- A propos de haine, il y a chez les chinois quelques grandes pensées pleines de sagesse et qui secouent nos à priori. Je ne connais pas toujours leur auteur. Par exemple : " L'eau ne reste pas plus sur les montagnes que la vengeance sur un grand cœur ".
- Soit, mais nous avons d'autres dictons comme : " une révolte apparemment écrasée, couve comme le feu sous la cendre. "

- Ce n'est plus à vérifier.
- Et entre religions ! Tant de guerres depuis des siècles, tant de morts, de sang pour des idées, des croyances. Pourquoi ?
- Pour certains, c'est un engagement sincère, semble-t-il, une mission, de la foi.

- La religion est une arme comme la politique. C'est une guerre de la communication sourde et implacable. Elles manipulent les esprits. Il y a un demi siècle une femme ne pouvait pas lire un texte à l'église. Rien que l'idée offusquait les prêtres. Finalement tout évolue car heureusement, ce n'est plus le cas. Peut-être qu'un jour les prêtres pourront se marier...
- Les hommes changent-ils lorsqu'ils n'y sont pas contraints ?
- N'est-ce pas que de l'obéissance aveugle ? Ne douteriez-vous jamais de votre engagement, de votre foi ?

- La religion est une manipulation
- Vous blasphémez
- Non, j'admire les leçons de Jésus Christ car il a montré un modèle de vie. Il a prôné l'aide, le partage, la pauvreté... et l'église a déformé son modèle par des périodes de richesses foncières ou de cruauté..

-  D'ailleurs, encore de nos jours les intégristes de divers bords sont prompts à la révolte, aux enlèvements, aux actions diverses pour narguer ou attirer l'attention... Ils parlent au nom de la religion, mais ils pillent, violent... Quelles que soient les religions, elles ont toutes conduit à la guerre entre les nations et à la domination au nom de Dieu !
- Ne parlez pas de la guerre alors que nos fils se battent au Mali !
L'angoisse de ces parents était si visible et si poignante qu'
Émilie ne put s'empêcher de l'éprouver à son tour.
- La guerre, ça n'a pas de sens. Alors que tant d'émigrés vivent hors de leur terre d'origine. N'en finira-t-on jamais avec les vieux antagonismes? N'y a-t-il vraiment aucun moyen de vivre en paix ?
- Cela relève de l'impossible. Il y a trop de haines accumulées, trop d'intérêts divergents entre gouvernements.

- Il faut supprimer les armes et commencer par faire disparaître les nôtres.
-
Bon d'accord, jetons le couteau, l'arme automatique, le fusil. Tous en même temps. L'autre te regarde faire avant d'agir et à ce moment-là, pourquoi l'autre jetterait-il les siens ?
-  Mais il faut bien que l'un des deux commence par le faire. il faut que la confiance ait un commencement. Qu'il s'agisse de gens ou de pays il faut trouver
assez de confiance et d'humanité.. Nous vivons sur la même planète, le monde est plein de souffrance, n'en ajoutons pas. Il faut mettre fin à la peur.
Butée, sa voisine avait répété :
- Je ne vois pas pourquoi il jetterait ses armes une fois qu'il saurait que moi je n'en ai plus.
- Pourquoi les garderait-il ? Il n'a plus rien à craindre de toi désormais.
Au cœur de l'univers il y a aussi de l'amour.
- De l'amour ! Tu es naïf ! Il les garderait parce que ça lui ferait plaisir de sentir qu'il les a et pas moi, et qu'il pourrait un jour avoir envie, à l'occasion de s'en servir ou simplement de te faire peur, de dominer. Dominer et prêcher la paix, c'est ce que les occidentaux font en ce moment. Il aimerait la puissance que donnent ces armes et l'idée qu'il est plus fort désormais. Au c
œur de l'univers, il y a avant tout la cruauté et non l'amour. Les gens sont comme ça, des prédateurs et ton raisonnement, je le répète est d'une naïveté !
- Mais on ne peut plus raisonner de la sorte aujourd'hui. Il ne s'agit plus de couteaux, de fusils, de mitrailleuses, ni même de kalachnikovs. Il s'agit d'armes que personne ne peut utiliser sans se détruire, ni détruire toute la planète.
Et puis tuer une personne non armée ne serait pas raisonnable.
- Aucun motif pour tuer n'est raisonnable
. Tu perds ton temps à discuter, les gens perdent leur temps à défiler, à faire des manifestations... On n'écoute plus ces discours qui ne servent à rien, seuls les pacifistes les écoutent. Il faut combattre les gens avec leurs armes !
- La paix n'existe nulle part sur cette terre.
- Une paix durable ne se construit que sur la prospérité.
Ou sur la force et la condamnation à mort !
- Les exécutions sont insupportables et attirent à leur tour la haine et la vengeance.

La guerre, de quelque côté qu'on la regardât et dans quelque camp que l'on se trouva était pour Émilie une chose affreuse, un malheur que les peuples subissaient sans jamais l'avoir véritablement souhaité, même quand ils faisaient montre d'un enthousiasme certain, né de leur amour du sol natal, mais que les premières souffrances éteignaient comme une chandelle. A la conscience de participer à une tragédie, dans les pays africains, qui cependant lui était étrangère, se mêlait le malaise et l'anxiété soulevés par ces discussions. Elle éprouvait devant ces révélations nues un sentiment étrange. Elle apprenait à découvrir d'autres civilisations. Et elle regrettait ses amis perdus, à l'autre bout de la table, ceux qui avaient encore le droit de manger avec les enfants ?

Émilie s'éloignait, revenait, écoutait et entendait de plus en plus stupéfaite :

- Le mari trompé, dans ces civilisations, a le droit de jeter sa femme à terre, de la rejeter puisqu'elle a souillé son foyer, de plus elle risque de donner vie à un fruit de ces amours illicites. On peut même la fustiger, la lapider.
- Chez les tziganes, c'est bien pire.
- Aussi chez nous ces gens-là n'ont pas beaucoup d'amis dans notre petite ville !
- Les Tziganes, qu'en feraient-ils d'une telle épouse, insista une dame ?
L'homme eut un petit rire dur et se retourna pour répondre froidement :
- Ils la mettraient dans un sac, comme un petit chat, pour la jeter dans la rivière. Les femmes elles-mêmes de la communauté seraient chargées de la besogne.
- L'affreuse besogne.

- Ben ! Le moins que l'on puisse dire est que ces gens-là ont de drôles de mœurs !
- Il faut apprendre à ne pas réagir aux insultes, à ne pas se disputer avec eux, à ne pas les provoquer. C'est ainsi pour beaucoup de communautés à fleur de peau !
- Non, elles le feraient avec empressement car chaque mari punit lui-même et chaque femme parmi ces gens, comme une louve malade, mais consentante, se laisserait lier par les autres, mettre dans un sac, entraîner par elles. Ce sont leurs coutumes, seulement un peu atténuées par les lois occidentales. L'eau, source de vie, de beauté deviendra instrument de supplice accepté pour une faute reconnue.
- Mais c'est scandaleux ! s'insurgea une jeune femme. C'est un crime pur et simple. 
Sacrifier à une rancune si légitime soit-elle des vies humaines lui était inadmissible. Et
Émilie était bien d'accord.
- On pourrait la rejeter moins brutalement. protesta encore cette dame...

- Et que pensez-vous du simple respect dû à la personne ?
- Le respect commence par de petits gestes : par exemple, les gens qui secouent la cendre n'importe où et jettent leurs mégots. Ils considèrent sans doute que le monde est un cendrier géant ou que les autres doivent être pollués par eux ou encore que ce sont leur larbins pour nettoyer après eux !

- La notion de respect varie aussi selon l'orgueil accordé aux hommes face aux femmes par exemple, ou même selon la civilisation ou la famille...
- Autrefois, une demoiselle n'aurait pas fait de compliment la première. Mais c'est pourtant ainsi que se passent les choses dans la nouvelle génération... et ce n'est pas désagréable.
 - Venez-vous donc d’un monde où les filles peuvent refuser d’obéir à un ordre paternel ?
- Si elles sont majeures certainement. Sinon il y a toujours une solution d'entente chez nous, reconnut-elle.

- Certains ne savent même pas que leurs façons d'agir peuvent sembler à d'autres manquer de respect. Le respect, ce n'est pas seulement dans les gestes extérieurs, dans les mots ou le ton employé, ou dans le regard qu'on porte sur soi-même ou sur les autres, il doit être dans le c
œur. Si vous vous croyez vous-même supérieur, vous attendez des autres un geste de soumission. Il faut pourtant des limites. Le terme de courtoisie serait peut-être le meilleur chez nous.
- Vous parlez de courtoisie à des personnes qui vont jusqu'à annihiler les droits de la femme. Eux ne parlent que de femmes rejetées.
- Allez en Orient et songez que certaines nuits  y ont plus de saveur que les nôtres ! Les chaudes nuits d'Orient sont sans rivales, mes amis, et vos hommes dominés par nos lois, par notre société ne savent pas encore à quoi il se sont eux-mêmes condamnés ! Il y a même celui qui peut offrir tout ce qu'une femme aime. Il peut déposer à ses pieds des trésors et même une vie joyeuse, mais dans une société fermée.
Les autres laissèrent le flot des paroles multiples ou empoisonnées se déverser, se gardant bien de les arrêter, pensant qu'il s'agissait soit de provocation, soit d'un besoin de soulager une ranc
œur personnelle enfouie dans un cœur aigri.


A une autre extrémité de la table, elle entendit une autre conversation qu'elle saisit alors qu'elle avait été commencée depuis un moment.
- Alors un dernier policier parut, barbu, vêtu comme ses compagnons; il s'en distinguait pourtant par l'expression de fureur et de brutalité qui s'étalait sur son visage mat et aussi par un autre fait. Au lieu d'un cheval, c'était une femme hurlante, entièrement voilée qu'il traînait à la fois par le foulard et la lourde coiffure qui était dissimulée. Soudain ses cheveux se dénouèrent devant le regard scandalisé des hommes, comme si c'était de sa faute.
La femme malmenée était jeune et peut-être belle, mais les larmes et les cris qu'elle poussait la défiguraient. De son mieux, elle essayait de se défendre, d'échapper à la poigne impitoyable de l'homme qui la traînait ainsi dans la poussière
. Parvenu à l'emplacement prévu, il lâcha la chevelure qu'il tenait à pleines poignées et envoya brutalement la femme rouler jusqu'au milieu du trou creusé.
Il s'agissait encore certainement d'un récit concernant les intégristes musulmans...

Comment une femme qui avait été choisie et aimée pouvait être traitée ainsi ? Peut-on aimer et pratiquer la haine ? Les rapports entre ces humains sont-ils de l'amour, un simple désir passager ?
- Le moins qu'on puisse dire est que ces gens-là ont pour nous de drôles de mœurs avoua une jeune femme.
, elle qui était perpétuellement à l'affût de la moindre trace de condescendance chez autrui.
- Le pire, c'est en Iran.
Plus loin, un jeune musulman qui semblait égaré dans cette assemblée s'insurgea. Qui l'avait invité ? Certainement un ami du jeune marié :
- Cette femme a certainement eu une attitude indécente et peu digne...
- Vous êtes donc pour le voile islamique imposé aux jeunes musulmanes ?
- Bien sûr.
- Pourtant celles qui ont vécu en France, sont certainement révoltées par les idées de leurs parents.
Le jeune musulman crut y voir une lueur d'hostilité à peine contenue qui eut pour effet de réveiller instantanément son animosité et ce sentiment d'humiliation latente qu'il partageait avec ceux de son peuple. La bienséance et les lois fondamentales de l'hospitalité, chers aux siens lui interdisaient en tant qu'invité toute discussion génératrice de conflit.
Il devint rouge sombre, mais se contint.
- Ce sont des mots, des propos d'un autre monde ! lança une femme irritée. Tout langage a plusieurs niveaux, plusieurs ordres de valeur... Il y a la forme, ce qu'on dit ou écrit, la substance, le sens des mots au premier degré et enfin l'intention cachée trahie par l'intonation ou révélée par la culture. Je répète, vos mots sont des mots d'un autre monde que le nôtre, d'une autre pensée que je ne peux ni saisir, ni approuver.
La figure de l'homme vira encore plus au rouge sombre, tandis que ses yeux noirs lançaient des éclairs.
- Je sais cela depuis longtemps, mais les mots véhiculent la pensée, la tradition, l'héritage des ancêtres et du prophète et ce n'est pas une femme qui me dictera ma conduite ! cria-t-il. Je n'aime d'ailleurs pas que les femmes soient en tiers quand les hommes parlent.
Chez nous, elle n'assistent même pas au repas des hommes.
- Chez nous il y a encore des réflexes typiques de mâle qui pensent que les femmes  ne sont bonnes qu'à servir d'infirmières, de professeurs  ou de secrétaires ( encore qu'il y a une évolution depuis le 20
e siècle ! ). Une femme chirurgien ou même en médecine légale se heurte constamment à des préjugés dans sa vie professionnelle. 
Une personne ironique profita de son silence.

- Dans ces civilisations, comme dans la vôtre autrefois ajouta la personne narquoise, les seules créatures de Dieu sont les hommes et dans une moindre mesure les femmes... C'est ainsi. Les femmes en quelque sorte, avec le reste de la création n'ont été mises au monde par le Tout puissant, que pour être à la disposition des hommes, pour qu'ils en disposent, vous rendez-vous compte !?
L'homme reprit ses esprits se demandant si elle se moquait de lui. 

- C'est une réaction qui heureusement n'a plus d'impact dans notre pays.
Elle éclata de rire et se tourna vers la personne, plus proche qui avait lancé le débat :
- Et qu'advint-il de l'homme avec lequel elle aurait fauté ?

- Il fut acquitté car la femme n'aurait pas dû le tenter.
- Et le mari ?

- C'était un mari paisible et facile à contenter. Il prit une autre épouse.
Cette réponse déclencha un grand éclat de rire. Mais une personne blessée par de telles observations sur des sujets tragiques se récria :
- Vous êtes cynique. Même de nos jours, je trouve la condition féminine nettement moins favorisée que celle des hommes. Vous pouvez faire tout un tas de choses ! Il y a eu dans toutes civilisations de bonnes mères et l'église chrétienne a ses saintes.
- Oui, reprit une vieille dame : " Je le dis avec les meilleures intentions, la femme est bonne mère si elle donne la priorité aux enfants et à la maison aussi. Les gens peuvent bien rire des anciens, de leurs femmes au foyer, mais moi, j'ai trouvé ça très satisfaisant de rester à la maison avec les miens et de ne pas être obligée de les conduire tous les jours dans une de ces garderies. Ils ont pu grandir dans une atmosphère propre et ordonnée. Chez vous les jeunes femmes, la poussière s'accumule, c'est sûrement pour ça que les enfants de nos jours ont des allergies et des maladies bizarres. Les gens ne font plus très bien le ménage chez eux et ils mangent mal. Lorsque le mari rentre après un travail  lourd de responsabilités, il est en droit de trouver un foyer rangé, paisible où on lui sert des repas équilibrés.
- Oh là !  On fait les choses différemment aujourd'hui et ça ne veut pas dire que c'est moins bien. Les nouveaux couples partagent les responsabilités à la maison, ils ont une carrière qui épanouit chacun, permet des rentrées d'argent. La carrière de ma femme est tout aussi importante que la mienne A la maison nous sommes un peu parfois paresseux surtout moi, mais je dois reconnaître qu'il faut que je m'améliore.
- Qui parlait de saintes femmes ? Le monde regorge aussi de catins, de dévoyées et de tentatrices.
- Ne vous a-t-on pas  dit que mon père n'était pas l'époux de ma mère ?
- Non dit-il surpris par l'attaque et sur ses gardes.
- Alors, voilà qui est dit. Je suis bâtard comme vous dîtes en parlant brutalement. J'ajoute que pour moi cela n'a pas beaucoup d'importance.
Son attaque par ce biais comme son ironie irritèrent.
- Quelqu'un placé plus loin, mais attiré par la conversation intervint dans le silence soudain :

- Ce n'est pas toujours vrai ce que vous dîtes, même chez les musulmans. Chez les kurdes la femme a de l'autorité, une autorité soigneusement cachée en général, mais certaine. Une femme turque et kurde digne de ce nom se doit de dominer son époux. Il y a un proverbe kurde qui dit : " Celui qui ne craint pas sa femme vaut moins qu'un homme. "
- Et si cette même femme ne met au monde que des filles. Comment réagit l'homme musulman ?

L'homme qui avait pour principe qu'une femme et encore plus une jeune fillette devait se taire humblement, ne put s'empêcher de rétorquer.
- Il ne se formalise pas, à condition bien sûr qu'elle ait au moins un fils.
- Et si elle n'avait que des filles que devraient-ils en faire ? Les jeter à la rivière, sans doute, comme dans certaines régions d'Inde ou de Chine ?

Émilie en avait assez entendu. Cette idée l'irritait. Elle s'approcha pour offrir à boire à un groupe où il lui semblait qu'on parlait de beauté :

- Vous prendrez bien une boisson fraîche dit Émilie à ce nouveau groupe.
Un sourire lui répondit.

- Si vous voulez bien, merci.
C'était Driss, un des amis du nouveau couple. Ses yeux sombres comme des châtaignes mûres étaient pleins de gaieté. Il était accompagné de frères ou de cousins qui lui ressemblaient mais il avait en face de lui un personnage étrange. Il était certes brun, mais ses cheveux semblaient faits de copeaux d'or, artifice de la teinture certes, mais en plus, il avait des yeux aussi bleus qu'un ciel d'été. Il ne se contenta pas de sourire. Il parla de la beauté d'Émilie et de sa sœur. Un peu intimidée, elle sourit à son tour. Après tout, elle était flattée. Les autres ne disaient rien.
Un homme d'âge plus mûr remarqua :

- Elles sont en effet bien belles, mais  différentes.
- Qu'est-ce que la beauté hasarda Driss ?

- La beauté n'est pas due à une couleur, à un poids ou à un critère arrêté par une civilisation, la beauté est celle de l'esprit de la personne, de son sourire, de sa chaleur humaine...de son propre regard vers l'homme ou la femme.
- Alors je suis beau lança un homme chauve.
- Et en amour, la beauté est-elle nécessaire  ?
- Non, mais il faut pour l'homme comme pour la femme savoir séduire et convaincre.

- "Le crapaud trouve belle sa crapaude" disait Voltaire pour définir la beauté.
- Existe-t-il des sortes de recettes de charme ?
- L'amour est un sentiment des plus complexes...
- L'autre sexe fait peur lorsqu'il devient indispensable.
- Et les hommes souhaitent dominer l'indispensable ?
- Vous l'aimez si elle vous manque dès qu'elle s'absente, si vous vous ennuyez d'elle, sans elle. Si plus rien n'a de sens sans elle. Si votre vie dépend d'elle.
- Il est difficile de vivre avec un grand chagrin d'amour ou de la jalousie.
- Le véritable amour devrait être réciproque et rempli de confiance. Il élimine ainsi la jalousie.

- Pour moi l’amitié crée des obligations et un lien véritable. C’est moins exaltant que l’amour, mais tellement plus solide.
- En effet. L'amour souvent fait mal les choses. je veux dire selon la société.

-  Sans doute !
- Si la société ne s'en mêlait pas, l'amour serait libre et divin. Si la société s'en mêle, tout devient contrainte.
- Mais avec cette liberté, l'amour ne dure pas. Dans les mariages de raison l'affection demeurait.

- L'amour est plutôt folie, passion. S'il est raisonnable est-ce de l'amour? N'est-ce pas que de l'affection ?
- Et pourtant, je le maintiens, un mariage basé sur l'affection peut durer et non l'autre...

  Plus loin on parlait de jeunes gens qui se laissaient entraîner vers le jeu, la drogue, l'oisiveté :
Ils ont toujours quelque chose à fêter ou à noyer. Les ambitieux ne se tournent pas toujours vers le travail acharné. Ils prennent place dans des lieux où l'on vit la nuit, se laissent bercer par le bruit des dés sur les tables, le cliquetis sur les billes rutilantes, le confort des bergères et des canapés, les lampes délicatement voilées qui éclairent de lueurs mystérieuses. Dans ces maisons qui regorgent de victuailles, on y sert en permanence du champagne dans l'ambiance d'une musique de fond. Les nouveaux, un peu inquiets essaient de détecter la tricherie, compagne habituelles des parieurs. Les habitués avaient parfois une manière de jouer qui équivalait à un vol pur et simple. D'autres avaient une telle sensibilité au bout des doigts qu'ils reconnaissaient les dés lestés, les cartes marquées.

Plus loin, on parlait travail :


- J'ai trop d'occupations absorbantes !
Je ne bosse pas moins que vous et peut-être plus. Mon père était directeur de l’usine et travaillait beaucoup. J'ai pris sa succession et de nos jours, il faut travailler encore plus.
- Le mien n’était pas directeur et il travaillait aussi. Quel directeur peut prétendre réussir sans ses employés ?

- Soit, vous marquez un point. Je sais que vous avez un fils, un travailleur potentiel. Sera-t-il directeur ou employé ?
- Pour le moment nous n'en savons rien, avec la crise ! Comment voulez-vous faire des projets ou même envisager que nous sortions de la crise ?
- Surtout si personne ne dépense rien. protesta C
 - En travaillant dur et en payant nos impôts tenta.. R
- Pour travailler dur encore faut-il avoir un travail, non ?
- Évidemment.
Les pauvres sont-ils fautifs ? Coupables d'oisiveté, de paresse ?
- Et comment fait-on pour trouver un travail si on n'est pas aidés par la famille ? Combien de jeunes n'en trouvent pas bien que diplômés ?

- Il a grandi depuis que vous ne l'avez vu et il n'en est pas pour cela plus agréable. Le travail quel qu'il soit, lui ferait du bien.
- Oui, certainement car rester sans travail ou même prendre sa retraite  lorsqu'on a travaillé toute sa vie, n'est pas facile non plus.Il y a sans doute des choses que je pourrais faire mais je perds peu à peu courage et surtout je ne veux pas me retrouver au service de mon mari ou donner l'impression qu'il faut s'occuper de moi. Les jeunes aujourd'hui n'ont aucune discipline.
Pour le moment, c'est un ouvrier qui demande peu et qu'on trouve toujours prêt à se déranger quand on l'appelle pourvu que l'appel ne vienne pas de ses parents !. Faites-en  donc un nouvel esclave.
Émilie sentit le patron  hérissé contre cette dame. Elle vit les coups d'œil irrités. Ces pauvres gens semblaient-ils dire sont soit grossiers, soit naïfs.
Mais personne ne lui répondit.
Le silence se prolongea, on mangea un peu. Soudain il sembla prendre une décision.
- Prenez le risque de me l'envoyer, je prendrai le risque de le prendre à l'essai.
- Le risque fait partie de la vie, et reculer devant lui conduirait à l'immobilité. J'essaierai de lui en faire part.
Une autre dame intervint :
- Oui, les jeunes sont peu disciplinés aujourd'hui et difficiles à cerner. Autrefois nous commettions des erreurs, les leurs sont différentes, mais ils n'y échappent pas.

- Les erreurs nous permettent d'apprendre et plus encore que les succès. Quelqu'un qui a commis une erreur dans son travail sera plus prudent, plus attentif, plus lucide et à moins d'un personnage immonde, on pourra désormais lui faire confiance.
Le fils en question n'était pas loin. Il essaya de participer.

- Je ne peux pas encore savoir si je commettrais des erreurs. mais c'est vrai que n'ayant encore jamais travaillé, je doute simplement de moi, de mes forces, de mon efficacité.
- Le doute de soi est la meilleure chose qui soit. Il n'y a que les sots qui ne le subissent jamais. Quand nous mesurons le gouffre de nos carences, c'est là que nous pouvons avancer et non en obéissant.

- Il faut aussi savoir rire de nous-même et de nos défauts, de nos erreurs, même les sages de l'Antiquité ont écrit des contes pour se moquer des travers humains !
- On peut énumérer, voire ajouter toutes les tares du monde... mais d'énormes contrats sont de plus en plus basés sur l'avidité, la cupidité incommensurable de ceux qui ont souvent déjà beaucoup et qui deviennent insatiables.
La valeur des choses ne se mesure pas qu'avec de l'argent.
- Je voulais parler de l'avidité au niveau des patrons, des entreprises..

- L'avidité de certains dépasse la conscience des erreurs, en effet. Mais il faut reconnaître qu'il y a des employés en contrepartie qui se contentent de velléités si des patrons cherchent à vous briser.
- Il faut lutter à chaque instant dans le travail comme ailleurs. Si un supérieur essaie de vous briser, il faut être prêt à se défendre. Entre les êtres il n'existe que peu de rapports d'amour, les autres ne sont que des rapports de force.
- Je n'ai guère d'illusions et surtout pas pour mon fils, mais lui en a encore sans doute.
- J'ai appris que le bonheur d'une communauté repose sur les dons et la qualité des dons. En offrant au lieu de toujours se servir, même dans son lieu de travail et de vie, on établirait une solidarité qui parviendrait à vaincre les divergences d'opinion, les inimitiés et les égoïsmes. Ce serait une lutte efficace contre la tendance à l'avidité.
- C'est un rêve innocent. L'innocence est une satisfaction personnelle, solitaire, confidentielle. L'argent et le pouvoir au contraire se font remarquer, vous poussent en avant, font baisser les têtes et soumettre les faibles, admirer les plus forts. Les pauvres vivent soumis ou renfermés.
- Un être pauvre n'est pas nécessairement renfermé, il peut être fier. Dans ce cas, il préfère dépérir plutôt que d'appeler à l'aide. Vos dons le répugnent. Recevoir, avec une abjecte reconnaissance ce que l'on appelle les bonnes paroles, recueillir quelques aumônes ou une écharpe de laine tricotée l'hiver au coin du feu après un bon repas n'a rien à voir avec l'amitié chaude, la sympathie vraie, elle laisse les vieux et les pauvres dans leur solitude.
- On ne sait jamais de quoi les gens sont capables, dit une autre personne songeuse. Je suppose que le plus lâche des hommes, le plus mauvais, le plus malhonnête peut parfois faire quelque chose de bien, s'il le désire vraiment, même aider sans condescendance.
- Il y a autre chose du point de vue des patrons : ceux qui gagnent peu vivent aux crochets de ceux qui gagnent beaucoup. Ou encore ils estiment qu'il y a exploitation. Exploitation de ceux qui travaillent et font des efforts en faveur de ceux qui ne veulent rien faire..


- Je me souviens d'une coutume chinoise racontait un grand voyageur qui s'était trouvé devant une personne entre la vie et la mort dans cette contrée lointaine, au milieu des chinois. Cela consistait à boucher avec de l'ouate les orifices, bouche, nez... de la personne au bord du coma car ils prétendaient, au lieu de sauver la vie chancelante, qu'une partie de l'âme s'étant enfuie, il fallait à tout prix empêcher que le reste ne s'en aille.
- Je n'ai jamais rien entendu d'aussi stupide !
- Cependant, j'aimerais bien aller en Chine, ces coutumes sont ancestrales et n'ont plus cours. D'ailleurs la médecine chinoise est réputée.
- Vous partiriez seule ? Les femmes ne sont pas faites pour faire des voyages solitaires. Les lois chez nous veulent que la femme, gardienne du foyer et productrice d'enfants, reste à la maison pendant que le mari s'adonne à ses propres affaires. La femme doit obéissance à son mari. L'homme gardait le calme et le sourire. Il avait parlé en toute conscience pour provoquer une réaction qui ne s'était pas fait attendre. Les françaises sont tellement chatouilleuses dans ce domaine !
- Jamais je n'accepterai de m'asservir à ce point. Nous sommes les égales des hommes devant la loi.
Il éclata de rire.
- Vous m'amusez

- Je suis à peine surpris, de trouver en vous une si chaude partisane de la liberté ! C'est pourtant un mot que les femmes emploient en général peu dans ce monde. Regardez hors de France, Regardez l'Asie, l'Orient, l'Afrique... La plupart d'entre elles préfèrent et même réclament, une douce et tendre servitude ! Et tant pis si vous n'aimez pas ce mot-là.
Pincée, elle répliqua :
- D'autres, face à des hommes comme vous sont plus malignes. Au lieu de réclamer l'égalité, elles préfèrent  asservir l'homme par un sourire. Ce sont de vrais magiciennes qui enveloppent les hommes de leur séduction.
- Je rends justice à certains charmes et je préfère m'en éloigner. C'est ce que personnellement je fais depuis pas mal de temps. Dans ce cas le coup de Circé est manqué. Ce n'est pas si simple de transformer un homme en pourceau !
- C'est encore à voir ! L'autre soir au bord de l'eau, à la tombée de la nuit j'ai vu comme un rayon de lune le corps d'une Aphrodite, peut-être plus belle encore. Qu'as-tu à dire à cette vision ?
- C'est une femme impudique qui devrait éprouver des remords..

- Dans certains pays d'Afrique et d'Orient les filles sont éduquées dès le plus jeune âge en vue des plaisirs de l'homme. On ne pense pas assez à ce côté là de leur civilisation. Le pouvoir de la femme s'en trouve ainsi renforcé.
- Moi, je n'ai rien, absolument rien à dire s'insurgea le frère de Driss surtout à cause du ton accusateur qui l'agaçait. Je vous conseille, mes frères  de m'imiter.
- Vous qui voyagez souvent en bateau, loin des terres habitées, n'avez-vous jamais ôté vos vêtements ?
- Si, mais cette personne aurait pu garder des sous-vêtements.
- Pour rester mouillée toute la journée ? Peut-être aurait-elle dû se baigner empaquetée des pieds à la tête ou penser à garder sa robe de chambre et ses pantoufles pour plonger dans l'eau.
- Je suis un homme gronda Driss qui n'arrivait plus à se dominer. Ce n'est pas la même chose.
- Voilà les grands mots ! Je suis un homme ! Vous êtes d'un encombrant avec votre supériorité, de nos jours ! Vous êtes là à ronchonner continuellement quand vous êtes malades ou vieux !!

- Ah oui c'est vrai, vous êtes des êtres à part, des demi-dieux auxquels tout est permis et que nous les femmes devons pourtant protéger et épargner...
- Vous ne pouvez pas dire non plus qu'il n'y a pas des vêtements inconvenants et des femmes qui les portent qu'on taxe d''étiquettes diverses comme  celle de " mauvaise vie ". La nouvelle mode avec strings, jean bas, mèches sur l'œil ... devient  terrible. Les trésors d'un corps ne doivent être destinés qu'aux regards d'un époux. Seules les prostituées offrent leurs épaules et leur poitrine à la concupiscence générale.
- L'autre soir au cours d'un repas, une dame et son voisin parlaient d'un bain de minuit. J'écoutais, sans réagir. Pourquoi aurais-je réagi  d'ailleurs ? Je ne sais. Elle se tourna vers moi et me dit : " Cela ne vous fait pas rire un bain de minuit ? " Je me suis sentie comme agressée sans raison. Non, cela ne me fait pas rire. Le costume ou la nudité ne sont inconvenants que pour les regards que l'on porte sur eux. Certains peuples vivent nus, d'autres montrent leurs jambes, d'autres encore pensent qu'il faut les cacher sous de longues robes. Personne n'a tort ou raison, ce sont, je le répète, des façons différentes de voir les choses.
- Quelle hypocrisie d'ailleurs ! N'avez-vous, à votre âge, jamais vu une femme nue ?
Émilie, vit le père de Driss frémir. La haine lui revenait. Haine pour l'impudeur de ces français et leur goût de l'exhibitionnisme. certains autour de cette table étaient de son pays, le Maroc, lui était né ailleurs par rapport à ses fils. Driss et ses frères assis plus loin étaient nés en France. Il se demanda où ses fils pouvaient puiser leurs réserves de sève, leurs idées, leurs réactions. Pourtant il se calma. Il réalisa que ces fils, produits de deux cultures seraient amenés à établir des parallèles. Les yeux de Driss en croisant son regard pétillèrent de malice et de complicité. Émilie crut un instant que Driss allait montrer les dents pour se conformer à la tradition, mais il se contenta de sourire tandis que son père grognait. Sa bouche aux lèvres pulpeuses semblaient hésiter un peu. Ses yeux avaient pris des reflets luisants malgré leur couleur sombre. Gêné, il regarda son père de nouveau puis il jeta un coup d'œil autour de lui avant d'ajouter, pour répondre poliment à la demande insolente.
- Moi, je l'avoue, j'ai osé me présenter  à l'entrée du moulin rouge. Dans une salle obscure remplie d'une foule joyeuse.
Driss pensait son père, s'il avait vécu au pays n'aurait aimé que se lever tôt le matin et marcher dans les rues engourdies où son pas sonnerait clair. Il y rencontrerait ses frères, ceux de son peuple, les travailleurs de l'aube et s'attablerait parfois avec ceux qui osaient prendre un café... et non avouer de telles horreurs ! Malgré le regard de plus en plus furieux de son père, Driss raconta comment douze filles, seins nus et paillettes  bruissantes formaient comme une toile sur le fond de la scène. Au moment où il rentrait elles enlevaient les bas. Il ne leur restait qu'un minuscule triangle de velours noir.  Leurs corps flexibles se pliaient en suivant la mesure comme des plantes au vent qui les berce. Elles se contorsionnaient dans une danse lascive qui évoquait sans ambiguïté l'acte d'amour,  dont lui-même malgré sa naïveté devinait, reconnaissait les gestes. C'était plus que la danse du ventre de ses ancêtres. L'air était saturé de parfums et de fumée.  Les hommes s'excitaient hurlaient, trépignaient, sifflaient.
- Tu n'osais pas te l'avouer, pourtant le spectacle te plaisait. Toute cette musique, ces danses, ces chants, te fascinaient littéralement.
Faute avouée est à moitié pardonnée ? Il n'y a que celles que l'on cache qui vous épargnent.
- En effet, pour moi, c'est un brûlant souvenir.
- Quelle stupide crainte vous retient ? La crainte de la société qui est le fondement de la morale ? la crainte de Dieu qui est le secret de la religion? Voilà deux principes qui nous gouvernent à tort..
- L'opinion des autres, celle des indifférents, n'a aucun intérêt. Ce qui compte c'est d'être d'accord avec soi-même et avec ceux que l'on aime et qui vous aiment.

- Il parait que sous Henry IV, les femmes se baignaient nues en plein Paris et vers midi devant les piliers du Pont Neuf.
Sous ses sourcils broussailleux, le sombre père la regarda comme un chien prêt à mordre.
- Nous, nous avons des devoirs à remplir, pour nos femmes, notre pays...
- Parce que les femmes n'en ont pas ?


On servit des escargots.
- Comment pouvez-vous faire manger des choses aussi répugnantes ? déclara quelqu'un sans ambages à son hôtesse.
C'était toujours cet hôte musulman. Elle ne put s'empêcher de lui dire :
- Je croyais que vous n'aimiez pas le porc ou plutôt que c'était le seul protide de base dont vous ne vouliez pas..
Il ne répondit pas à la remarque et ajouta sans se rendre compte que dans cette société européenne, il devenait grossier.
- J'ai entendu dire qu'en France on mange aussi les grenouilles.
- C'est tout à fait exact et c'est encore parfois un plat rare et de luxe.  Et c'est dommage que vous n'acceptiez pas d'y goûter. Je suis certaine que si l'on vous bandait les yeux et que l'on vous en serve, vous changeriez d'avis.
- C'est possible, mais je n'ai pas du tout envie de tenter l'expérience. J'aime savoir ce que je mange et d'ailleurs j'estime que, dans la nourriture, l'œil a son mot à dire.

Les conversations diverses se croisaient toujours :
- L'année dernière, j'ai eu un champ envahi de chenilles.
- Chez nous, lorsqu'un problème de ce genre arrive on fait venir le sorcier pour  exorciser le champ en quelque sorte.
- Et elles partent dit-il  Ironique ?
- Oui, bien sûr;
- N'est-ce pas tout simplement lorsqu'elles n'ont plus rien à manger ? dit Emma.


Elle n'écouta pas la suite car une autre conversation venait jusqu'à ses oreilles

- Je dirais que les mots : fidélité, soumission, bonté, bien, mal... sont sans consistance... on les utilise indifféremment en fonction de besoins personnels et égoïstes. Ce que je ne peux souffrir, c'est le bêlement faux de la bonté, les palabres de certains livres moralisateurs sur la vie. J'estime que la vie d'un homme ne peut prendre conseil des morales, mais du réel mouvant  et contradictoire et que la justice en contrepartie doit exiger, se montrer ferme, voire dure pour remettre les idées en place. J'ai acquis en voyageant le sens de la nécessité et il me suffit. Les principes selon moi détruisent tout.
- Qu'est-ce que la justice en fait ? Ses différentes représentations donnent une idée. Aux États Unis elle a les yeux bandés, signe d'impartialité.
-  Ce qui est aberrant car tout le monde est partial.
- Ce n'est plus la justice alors.
-  Oui et non. Suivant les cultures et les époques, elle a porté un tas de noms. Thémis pour les grecs de l'Antiquité, Justicia pour les Romains, Ma'at pour les Égyptiens du temps des pharaons...
-  Et alors ?
- Elle est variable comme ses noms. Parfois on la voit avec un glaive censé représenter un châtiment rapide.
- Châtiment rapide ou brutal voire capital ?
- C'est ça le problème...Il conduit aux erreurs.
- Même imparfaite, ce qui la symbolise le mieux, c'est la balance. D'un côté l'accusation, de l'autre la défense.
- C'est donc pour vous une histoire d'équilibre.
- Pour un avocat, pour un accusé, contourner les lois, exercer des pressions, exploiter la moindre faiblesse juridique... c'est juste, si on reste dans le cadre du système.
- Toujours une question d'équilibre quels qu'en soient les moyens ?
- Question d'équilibre, en effet. Si on perd l'équilibre, même avec les meilleures intentions du monde, on va à la catastrophe, on sort de la justice.


Emma et son jeune mari parlaient :
Au moment de la remise du livret de famille disait celui-ci, le maire a parlé de " chef de famille "
- " Chef de famille ? " Si j'avais fait attention, j'aurais hurlé. Il venait de lire tous les textes pour le droit à l'égalité dans le couple ! Dire  : " Je remets le livret de famille au chef de famille est un anachronisme.
Ils se turent tous les deux. Le silence ne la gênait pas au contraire d'
Émilie qui aurait été outrée. C'est plutôt lui qui devant le silence de son épouse semblait figé par sa propre remarque et il se balançait nerveusement sur son fauteuil.
- Je refuse la soumission finit-elle par dire avec un sourire. Ne m'oblige pas à jouer les femmes de marin guettant jour après jour l'entrée d'un navire dans le port disait calmement Emma à son mari. J'en ai pris mon parti, nous aurons chacun notre vie. Cette vie sera finalement agréable parce que chacun mènera l'existence qui lui convient. Je tiens à cette indépendance.
- La soumission est un grand mot qui n'a pas de place dans un couple qui s'aime.
- Seuls les paresseux et les médiocres s'en tiennent strictement aux ordres, parce qu'ils ont peur d'autrui et d'eux-mêmes. A force de se soumettre et de ne prendre aucune initiative, on devient plus inerte que la pierre.
- Pourquoi entrevoir les rapports hiérarchiques comme une guerre ? interrogea de nouveau le mari d'Emma ?
- Parce que certains, sous prétexte qu'ils sont allés à l'Université, sont du genre à se croire supérieurs, à trouver que leur opinion a plus d'importance.
Seigneur Emma, n'aurez-vous pas assez de sujets de bataille avec votre époux au cours des années, sans pour y déclarer dès aujourd'hui, un débat ou des problèmes qui n'ont rien à voir avec vous deux, en fait ? Ma parole on jurerait que vous prenez plaisir à vous chamailler l'un l'autre, ce soir ! En fait, il crève d'envie de vous prendre dans ses bras, et pour un rien, vous seriez prête à vous traîner à ses pieds, mais quand vous êtes ensemble, vous vous dressez l'un en face de l'autre comme des coqs de combat. Et vous vous disputez devant tous les gens de la noce !
- Mais, ce n'est pas uns dispute, c'est un débat, tu l'as dit toi-même répondirent-ils en riant.

 

- Je ne supporte pas la chasse avouait un autre bavard
- Quelle hypocrisie. Vous ne boudez ni la viande, ni les terrines, il faut bien tuer pour cela
- Je sais. Je reconnais qu'il faut tuer pour manger de la viande, mais ce n'est pas une raison pour chasser avec des armes de plus en plus sophistiquées, à bord d'un 4/4 en téléphonant au moyen d'un portable les lieux propices à la traque.
- Ce n'est plus la chasse à courre, ce n'est plus un moyen d'existence.
Mais cela reste un spectacle avec gilets fluos, portables et 4/4.
- La planète terre se rue vers son anéantissement continuait un pessimiste ?
- Quand l'être humain comprendra-t-il que la planète terre est un don de la nature, magnifique et fragile qui ne lui appartient pas, qu'il est tenu de restituer en parfait état comme un livre prêté.. Les hommes qui décident  ou non de respecter les accords internationaux concernant la respect de la nature, le traitement des déchets radioactifs ne pensent pas à ceux qui leur succèderont sur la terre.
- L'homme qui autrefois vivait dans les bois est malheureusement sorti pour devenir avide. Il a voulu détourner et emprisonner l'eau des rivières, retourner la terre, semer. les humains ont dressé des murs pour protéger les récoltes, ont levé des armées, pour protéger les murs et c'est sans fin. Nous sommes devenus des êtres irrationnels, influençables, perméables à la suggestion alors que l'animal est plus sain : l'écureuil, le corbeau ne gardent que des provisions nécessaires, le premier dans ses joues, le second dans son bec..
- Tenir compte de ses successeurs, implique la reconnaissance de sa propre fin et surtout les hommes accrochés au pouvoir, malgré les preuves du contraire, continuent de s'imaginer immortels. .
-  Le recyclage était-il utile ? alors que la plupart soupçonnaient que tout se retrouvait au même endroit, de toute façon et que tout cela n'était qu'une machination pour permettre à une entreprise d'augmenter ses tarifs ou de gagner plus... .
- Celui qui réagit à
Tchernobyl en disant qu'il y a eu seulement  trente et un morts, sans tenir compte des milliers de gens à l'hôpital, des centaines de milliers exposés à la radioactivité dangereuse, des immenses zones dévastées, des morts par cancer qui ne se dévoilent qu'au fil du temps, c'est cette personne qui est dangereuse.
- Les verts cherchent toujours à contester. Ils cherchent la moindre leucémie dans les parages d'une centrale pour l'attribuer à celle-ci. Ils lancent des idées hystériques sur les convois de la mort comme si les déchets radioactifs étaient dans des tombereaux ouverts. Est-ce qu'ils tiennent compte du fait que l'énergie nucléaire a évité au monde de brûler des millions de tonnes de charbon ? Ont-ils entendu parler de l'effet de serre et autres dévastations causées à la planète par les énergies fossiles? Il y a moins de dangers dans le nucléaire, moins de personnes ensevelies, moins de carcinogènes, que dans les pluies acides et les goudrons. Sans compter les solvants, les produits chimiques que certains manipulent respirent. Le monde devient une poubelle de déchets plus ou moins toxique.
- Le pire est que des personnes puissent encore croire que leurs insignifiantes manifestations vont y changer quelque chose..


- Je donnerais tant pour avancer de quelques pas de plus dans la connaissance.
- Elle est pourtant parfois si effrayante ! E
lle donne la puissance argumenta,  Emma.
- La puissance peut agir sur les peuples aux idées changeantes. La puissance peut manipuler et agir malgré tout.
- La connaissance est peut-être le pouvoir. Le pouvoir en lui-même n'est ni bon ni mauvais. C'est ce qu'en fait l'homme qui devient dangereux.
- Non, savoir est amusant, c'est apprendre qui est ennuyeux ! Moi, j'aurais voulu savoir mais ne jamais apprendre...
- Non, ce qui est effrayant, c'est ce que les hommes sont capables d'en  tirer. Si nous utilisons les avancées pour mieux piéger les hommes  naïfs, la faute n'en revient pas à la science.  

- Personnellement, j'accuse la science. La science progresse mais annihile le travail. Une invention trop efficace qui détruit des emplois est-elle souhaitable ? Elle ne fait que soumettre la nature à l'homme alors que seuls devraient compter les rythmes naturels que respectaient les traditions.


 

Émilie, avait tant appris en une soirée. Pour elle encore petite fille, le seul pouvoir valable, d'après son éducation, était dans la connaissance, dans la science et même, paradoxalement dans les trois mots qu'elle hurlait en silence tout en faisant le tour des tables : paix, tolérance, humanité. La guerre détruisait tout, elle ne donnait ni pouvoir acquis avec certitude, ni sentiments d'humanité. Elle avait atteint l'âge où le danger des lectures était dépassé et elle lisait beaucoup.  D'ailleurs le danger aujourd'hui ne venait-il pas essentiellement de la communication ? de la manipulation, de la censure, au contraire ?  De ces dogmes politiques ou religieux rabâchés pour asservir les uns et donner plus de pouvoir à d'autres. La soirée lui avait brouillé les idées

.L'instant suivant appartint à l'odeur de l'excellent café dont Émilie but une première tasse avec un plaisir visible, peut-être même éprouva-t-elle un peu de soulagement à se cacher derrière la tasse fumante.

Les deux jeunes frères dont les paupières se fermaient, montèrent dans les chambres et tombèrent dans un profond sommeil bien que l'on entendît encore au loin les cris de la fête.
Émilie était perturbée par tout ce qu'elle avait découvert et entendu.
- Devrais-je me modifier moi-même, dit-elle à son père ?
- Mais tu es bien comme tu es. C'est comme cela qu'on t'aime. D'ailleurs, ne t'illusionne pas ! Telle tu es née, telle tu resteras. Personne ne change vraiment. Le moule qui nous a fait est complexe. Il est dû non seulement à la génétique, mais à l'éducation. Et comme l'artisan-artiste qui dégrossit la matière première pour faire apparaître les formes, toi aussi tu dois chercher à ôter les imprécisions, les imperfections mêmes trop prononcées de ton moi, pour découvrir ton être véritable, ton  cœur sincère qui est ta matière première.
- Mais papa toutes ces idées contradictoires, toutes ces idées nouvelles et je l'avoue parfois révoltantes... L'enseignement adressé à des élèves suffisamment naïfs leur laissait croire que les Européens avaient une civilisation supérieure.

- Ce ne sont encore que des idées justement et des idées malheureusement ancrées dans certains esprits.  Décidément l'être humain n'évoluerait jamais... . N'avait-il pas encore compris qu'on n'emportait pas les richesses dans sa tombe ? Que le mieux être au dépend des autres n'apportait aucun bonheur profond.
Aucune logique au monde ne pourrait convaincre certaines personnes qu'elles regardaient le monde  avec des lunettes mal adaptées. Il ne suffit pas de raisonner un humain pour parvenir à le faire changer. Qui a le droit de juger les autres ?  Les voyages et les bonnes lectures, une solide culture, seuls permettent de comprendre ces différences, à condition encore de voyager avec l'esprit ouvert et non comme en pays conquis... Une solide culture est le pilier inébranlable de la pensée. Et,  par exemple, j'ai été choqué en Chine par un de nos accompagnateurs qui donnait sans cesse des leçons aux guides ou aux serveurs. Surtout aux serveuses d'ailleurs. Mais comme disait un conférencier l'homme est un être difficile à convaincre. Il reste presque toujours fermé sur ses convictions, ses traditions et ses croyances...Changer de croyance, de civilisation ou simplement admettre qu'aucune n'est au-dessus de l'autre reste une rude épreuve que seuls franchissent les couples mixtes, qui durent, ajoutons-le !


Date de création : 12/12/2011 . 08:14
Dernière modification : 17/03/2015 . 08:01
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