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Promenade dans le temps

Promenade dans le temps

Le moulin rénové était devenu le seul lieu de vie dans un village éteint. Elle observait les passants. Aujourd'hui la population lui paraissait incroyablement diverse. Plus de la moitié des gens parlaient dans leur portable, même des seniors, même des femmes qui devraient être attentives et qui poussaient des voitures d'enfant. Bla, bla, bla. Que diable  peuvent-ils tant avoir à se dire ?

Les veillées dans le cantou se font rares aujourd'hui et pourtant nous aimions cette flamme chaude et réconfortante qui fait revivre mes souvenirs.
Je me revois assise au coin du feu, éclairée seulement par une petite lampe à huile, nous étions habitués à cette pénombre.
Je pouvais tricoter, ma mère filait le lin et le chanvre pour faire des draps et des torchons. Pendant les soirées d'hiver, chaque famille donnait un peu de son temps. On allait chez les uns ou chez les autres pour aider à casser les noix. Nos pauvres mains gardaient pendant plusieurs mois la trace des cocons marrons qui les enveloppaient. Certaines femmes filaient ou reprisaient des bas, raccommodaient de vieux vêtements. Les plus jeunes jouaien et dansaient
Le cantou c'était notre chauffage. Nous nous brûlions quelquefois devant et nous nous gelions derrière, mais c'était aussi un lieu de rencontre. On ne sortait pas souvent le soir. Des amis se joignaient à nous l''hiver pour énoisiller, par exemple. Un lien d'affection rassemblait devant le foyer jeunes et vieux. C'était à la fois gai et mélancolique. Les flammes projetaient sur les murs des ombres mystérieuses que mon imagination d'enfant remplissait d'histoires merveilleuses.
Parfois je m'endormais dans l'odeur des châtaignes qu'on mettait sous la cendre chaude. Nous les mangions blanchies accompagnées de tourtous
Le matin, au petit déjeuner, mon père et mes frères avalaient une soupe de pain qu'accompagnait un morceau de fromage de chèvre. Nous n'avions pas de brioches, des céréales ou des croissants comme certains enfants aujourd'hui. mais enfin, nous n'étions pas trop malheureux et nous mangions à notre faim. Nous faisions cuire de la viande seulement le Dimanche et surtout de nos volailles. Ce jour-là, le dîner qui avait commencé comme à l'ordinaire par un bon chabrol, se terminait parfois par un gâteau de citrouille, à la farine de maïs. Plus que la nourriture, le vin était sacré. Jamais notre père n'aurait accepté d'en boire un autre que le sien. Il pressait lui-même ses raisins après les vendanges. Nous  possédions aussi un cochon. Au début de chaque année, au cours d'une véritable fête, le cochon était tué. Nous en mangions avec des légumes secs. Ma mère faisait le pain elle-même et le mettait au four une fois par semaine.
Notre cuisine servait autrefois de salle de séjour. Elle était peu éclairée par une petite fenêtre devant. Le sol aux pierres froides et grises était irrégulier mais une bonne odeur s'élevait des marmites où mijotait à petit feu le repas. les femmes s'affairaient autour de la table et du foyer tout en discutant des travaux de la saison et des nouvelles apprises le matin aux courses. .

J'allais à l'école des religieuses. Je partais pour l'école avec mes frères et soeurs, le matin vers 7 h 30 aprce que nous avions plus de 3 km à faire à pied.Le temps bien sûr, n'était pas toujours beau et le chemin nous semblait parfois long à cause de nos gros sabots de bois. Ceux qui ne marchaient pas vite avaient froid et risquaient d'arriver en retard. Nous crosions souvent des charrettes chargées tirées par des boeufs.
L'école était quand même chauffée un peu. Les soeurs entreposaient au fond de la classe les bûches amenées par chaque élève, le matin. On mettait aussi à cuire quelques pommes de terre pour ceux qui ne rentraient pas chez eux à midi. Le soir, l'hiver, quand nous revenions à la maison, il faisait presque nuit. Quand nous arrivions après une journée de classe, nous étions bien fatigués
C'est à l'école que nous avons tous appris nos premiers mots e français. Il était interdit de parler patois en classe. Que de coups de règle reçus sur les doigts ! Le jour de mes douze ans, mon père m'a demandé si je voulais continuer à aller à l'école ou si je préférais garder les vaches te les moutons. Je n'avais jamais beaucoup aimé l'école et dans les prés bien sûr on ne s'amusait pas tous les jours non plus, mais quand même... on y faisait un peu de tout, on brodait, on tricotait. Il y avait des gens qui venaient aider à garder ou tout simplement bavarder. Les jours de froid et de pluie, on faisait un peu de feu
La plus grande fête pour nous, c'était celle de la St Jean. Nous aimions danser la bourrée et il y avait beaucoup d'ambiance.
La fête de Noël était loin de ressembler aux Noëls d'aujourd'hui.
 J'ai toujours dans ma tête, l'image de ma mère qui revenait de la foire de Brive. Elle enlevait son fichu noir sitôt la porte refermée, venait près de l'âtre, offrait ses mains à la chaleur des flammes et au bout d'un moment se retournait les yeux pétillants de malice. Elle sortait de ses poches l'orange de' Noël, s'approchait de nous et nous serrait sur son coeur, sans parler.
Le travail aussi avait ses charmes. En plus de l'école, j'aidais ma mère aux menus travaux du ménage. Avec les beaux jours, j'allais avec ma mère au lavoir du Touron. La grande lessive était un travail très dur mais j'aimais le bavardage des femmes, les courses dans les bois autour du linge qui séchait. La grande lessive était un travail très dur et si parfois il y avait une grand sècheresse, il nous fallait aller jusqu'à la Dordogne à 15 km de là. Avec le mulet c'était une véritable expédition. On faisait bouillir le linge dans un récipient en cuivre.
Mes parents travaillaient toute la journée dehors. Dans les champs, il fallait enlever les pierres et les jeter sur un monticule qui servait de mur de séparation. Nous étions à genoux dès la première chaleur du jour et souvent il fallait recommencer car sur la Causse, les pierres semblent repousser comme des champignons. Et en une journée il ne se faisait pas beaucoup de rendement parce que nous n'avions que de petits outils à main. mais enfin on y arrivait quand même. Malheureusement, il fallait donner la moitié des récoltes au propriétaire et en plus, tout au long de l'année, on donnait des poulets, de la laine. Il nous semblait qu'on n'en finissait pas de donner.
Beaucoup de familles étaient très modestes, aussi cherchait-on à économiser, dans des domaines qui sembleraient ridicules aujourd'hui.
Je revois le tailleur de G., montant le chemin du moulin qui menait à sa vigne, avec sur la tête, une desque pleine de fumier de poule.
Comme la terre n'était pas très fertile, on faisait du bois. Mon père transformait le bois en charbon, il allait le vendre. Il faisait ce qu'on appelle des charbonnières. Quand il portait une charretée de bois ou de charbon, il partait avec la mule. Il n'avançait pas bien vite. C'était tellement difficile dans ces chemins, tellement fatiguant.
Les garçons allaient se louer comme petits domestiques, d'autres travaillaient à la journée, à l'époque des grands travaux, pour les foins ou les moissons. Toutes les récoltes étaient coupées à la faux finement affutée; un homme exercé pouvait couper 20 ares dans la journée. On se préparait dans la gaîté pour les moissons qui duraient près d'un mois. Le rude travail de la journée se terminait toujours par un gros souper qui servait à remercier ceux qui avaient aidé aux travaux. Malgré la fatigue de tous, les chansons montaient, dans la nuit tiède de l'été. Des histoires pleines de verve divertissaient les convives.

Un de ces jeunes gens que je connaissais bien avait été loué comme berger, il n'avait alors que 11 ans et gagnait 30 francs par an. Les jeunes ne dépensaient rien pour les loisirs, ils économisaient pour s'acheter des vêtements neufs pour ller à la messe  et chercher le regard des jeunes filles. A la fin de la messe, le garde champêtre arrivait avec son tambourin à la taille et il donnait les dernières annonces, les dernières nouvelles locales.


Après il est allé travailler pendant un an à la voie ferrée. C'était l'époque où on construisait la ligne de chemin de fer de B. à S.. De nombreux ouvriers et terrassiers étaient venus s'installer au village. Il y a eu à peu près à ce moment-là 2000 habitants à G.. Aussi la vie du bourd était-elle animée avec beaucoup de czfés et de restaurants.
Les femmes qui étaient vaillantes, allaient à pied jusqu'à la voie ferrée, pour vendre le peu qui n'avait pas été mangé à la maison : une douzaine d'oeufs, des caillades ( fromages faits maison ), un peu de raves, un poulet... ça les aidait bien dans les fermes et celà leur permettait en retour d'acheter un peu de sucre et de café, un savon...
Les jours de foire, certaines montaient le chemin du moulin avec la seille pleine d'eau sur la tête. Elles allaient vendre leur eau à ceux qui avaient soif, les jours de grande chaleur, sur le foirail du moulin. Car avec les naissances, les nombreux enfants, on vivotait plus ou moins dans ces petites terres arides.
 Après avoir travaillé à la voie ferrée ce jeune homme avait voulu devenir tailleur, puis cordonnier. Comme il  trouvait qu'il ne gagnait jamais assez, il avait tenté une aventure extraordinaire. Il avait vu un jour sur le journal qu'on gagnait davantage à New York.
La famille lui a prêté de l'argent pour le voyage et alors qu'il ne savait pas un mot d'anglais et parlait à peine le français, le voilà parti !

il a même avoué plus tard qu'il ne savat pas où se trouvait New York, mais que le bateau l'y a amené. Plusieurs jeunes du village, suivant son exemple sont partis pour essayer de faire fortune et la chance parfois leur a souri. Ce temps-là je m'en souviens aussi comme d'un temps où je me sentais libre. Pourtant mes parents étaient sévères parfois. Il ne fallait pas s'amuser à être en retard. Lorsque j'ai voulu me faire couper les chveux, il a bien fallu attendre 6 mois l'autorisation de mon père. les soirs de bal, j'étais surveillée...
Ce temps-là a fini quand j'ai eu 16 ans. Un jour, un voisin est venu, il a dit à mes parents qu'il avait un bon parti pour moi. J'ai écouté en proie à une émotion difficile à contenir. Ce garsd avait demandé à parler à mon père de mon avenir. Comme j'étais encore gamine, celà suffisait à me bouleverser. Le jeune homme dont il était question, je ne l'avais vu qu'une fois mais j'avais été sensible à la bonté de son regard. Mon père, ça l'a tracassé de me laisser décider si vite. Il me l'a dit plus tard. Mais nous étions 7 enfants à placer et je ne me voyais pas garder les moutons toute ma vie.C'était mon enfance qui s'en allait et mon insouciance. Je sais maintenant que mon bonheur était surtout dû à ma mère. C'est elle comme beaucoup de femmes de ce temps-là qui tenait la misère à distance. Elle savait tout faire : les chemises des hommes, les tabliers, elle tricotait, faisait à manger pour le père, le grand-père, les 7 enfants, elle tenait aussi la maison, aidait aux champs. Elle est morte relativement jeune, d'épuisement, une maladie comme une autre plus rare aujourd'hui. . Les femmes alors étaient volontaires, courageuses; levées à l'aube, elles se couchaient tard, sans jamais s'arrêter de travailler. Elles allaient de la cuisine à l'étable, de l'étable aux champs, des champs, elles revenaient à la maison et à la cuisine encore.
Je me suis alors mariée et alors ont commencé les peines, les soucis et même les deuils. Rien n'a été facile, mais, malgré tout ce qui peut assombrir une vie, je me sentais heureuse. La franchise et la bonté du regard de mon mari ne m'avaient pas tropée. J'ai eu à mon tour de nombreux enfants
Je suis venue m'installer chez mon mari comme c'était la coutume bien sûr puisqu'il gardait la ferme; ça me faisait drôle de changer de famille. Ma belle-mère était une maîtresse-femme, elle avait ses habitudes dans la maison et il n'était pas question pour elle, de les changer. Quand il y a deux femmes dans une maison, il y en a souvent une de trop.
C'est quand mes deux fils aînés ont été à l'école qu'il y a eu la séparation de l'église et de l'état. La vie du village fut bouleversée par cet événement. Un certain Clément ne voulait plus que les cloches sonnent. Un autre, le menuisier, chantait à tue-tête l'internationale pour impressionner l'entourage. Des gens n'ont pas tardé à enlever leurs filles de chez les soeurs. Certains commerçants du parti radical comme le cordonnier ont peu à peu perdu leurs clients. Des clans se sont formés, les uns et les autres se regardaient de travers. Certains ont même cessé de fréquenter l'église.
A part ces querelles de clocher, le temps passait, monotone et assez tranquille. Les enfants grandissaient, mon mari venait d'avoir 40 ans. L'hiver était très humide cette année-là. Il pleuvait sans cesse depuis des jours et des jours. C'est alors, en 1909, que mon mari tomba malade. Depuis plusieurs jours il se traînait. On voyait bien qu'il était fatigué mais comme le travail n'attendait pas, il continuait sans rien dire. Il passait, lui aussi ses journées d'hiver à couper du bois sous la pluie et un soir il revint épuisé, se plaignant de la tête et de la poitrine. On lui fit boire du tilleul, on lui mit des cataplasmes de sauge... mais le lendemain, le mal avait empiré. Il gémissait, nous cherchant d'un regard implorant, incapable de parler clairement.
On décida d'aller chercher le docteur Vau à Chartrier. Je partis au plus vite avec la charrette, dans les bourrasques de l'hiver, seulement abritée par un sac de jute. Le vent poussait de gros nuages. Le docteur vint mais c'était déjà trop tard. Mon mari avait une double pneumonie qui l'emporta bien vite.
Je n'eus pas le temps de m'arrêter sur mon chagrin. Les jours passèrent apportant leur lot de travail, de chagrin, de soucis. les beaux-parents se faisaient âgés et je me retrouvais désormais seule pour tout faire. C'est au milieu des soucis que j'ai senti le poids de la solitude et le poids de la faux. Il me fallait désormais me plier sur elle en plus de m'occuper des enfants, de la cuisine, de la maison, de l'étable....
Moins d'un an après la mort de mon mari, ma fille Louise s'alitait à son tour. Un soir je la sentis fiévreuse. Cette fois je ne voulais pas attendre et j'allais immédiatement chercher le docteur, mais il ne put venir tout de suite. Au début, elle semblait enrhumée et errait à travers la maison, malheureuse, gémissante, mettant à rude épreuve la patience de toute la famille. Le lendemain, elle était de plus en plus fiévreuse. Dans la nuit Louise se lamenta. Elle avait un mal de tête lancinant qui lui devenait intolérable. Elle criait : " Je ne veux pas mourir comme papa, je ne veux pas mourir. ". Je changeais à chaque instant la compresse fraîche qui devenait chaude au contact de son front, la peur s'emparait de moi. La lumière lui faisait mal au yeux, puis les cris de l'enfant devinrentent plus confus, elle délirait. La nuit n'en finissait pas. La lampe à huile creusait un trou dans le noir de la chambre des enfants sans bien éclairer.
Le docteur arriva enfin il avait pesé sur les genoux et la nuque raidis. L'examen se prolongeait, le regard du docteur se dérobait et je compris qu'il n'y avait plus d'espoir. Le silence du docteur devenait intolérable. Je priais et pleurais à la fois. Elle avait à peine 5 ans le jour de sa mort.
Bien des jeunes filles devenaient religieuses pour évier des soucis à leur famille. Les morts d'enfants étaient fréquentes alors. Trois enfants D. sont morts en moins de 24 h pendant l'épidémie de croup.
Les jeunes gens de G. ne savaient pas encore qu'à cette date allait s'achever malgré les misères, un bonheur malgré tout tranquille, bâti de soucis mais aussi de joies innocentes.
C'est en Juillet 1914 que les habitants du village apprirent la nouvelle de la guerre, mais personne n'y croyait vraiment. L'instituteur, le curé et le notaire étaient sans doute les seuls à savoir que Sarajevo était une ville de Serbie. Les jeunes gens paisibles absorbés par le labeur ne savaient pas encore qu'allait finir leur jeunesse encore insouciante. Pourtant un à un les hommes avaient signé leur fascicule de mobilisation et leur feuille de route arrivait. J'ai vu partir des frères, des parents, des voisins...Des femmes pleuraient tenant leur foulard de tête sans pourtant encore réaliser l'importance de ce départ. Tout le monde prétendait que la guerre ne durerait pas.
La vie ici était devenue triste et monotone, Les femmes doublèrent leur travail faisant aussi la part des hommes. Même le curé ne les ragardait plus du même air devant leur besogne. Tout le monde parlait de cette guerre, des absents, des nouvelles dans les journaux. On entendait toujours la même réflexion qui révélait l'état d'esprit de chacun : " Quand cela finirait-il ? "
 Dès le début de la guerre, la mort avait déjà frappé.G. comptait quelques victimes. Il y avait pas mal de prisonniers. D'autres n'avaient pas donné de leurs nouvelles depuis longtemps. On ignorait s'ils étaient, morts, blessés ou prisonniers. Les femmes gardaient toujours espoir et on les voyait chaque matin à la poste attendant des nouvelles qui n'arriveraient peut-être jamais.

Finalement il y avait eu tant de morts que les foires ne recommencèrent que vers 1925. Quant aux fêtes, elles ne reprirent que lorsque les cicatrices des années de guerre commencèrent à s'estomper.
Ma seule consolation, c'étaient les enfants qui me restaient.


Date de création : 08/01/2019 . 08:18
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